• Exercice scolaire.

     

    Vous comparerez ces deux textes relatifs à l'autorité. Vous en tirerez la leçon que vous souhaitez mettre en valeur.

     

    Texte I

     

    INVARIANT n° 27 :

     

    On prépare la démocratie de demain par la démocratie à l'Ecole. Un régime autoritaire à l'Ecole ne saurait être formateur de citoyens démocrates. C'est une chose si naturelle qu'il semble que le simple bon sens imposerait à tous cet invariant. Les habitudes autoritaires sont, hélas ! si ancrées dans la vie des parents et des maîtres que, dans la presque totalité des classes et des familles les enfants restent essentiellement mineurs et soumis à l'autorité incontestable des adultes.

     

    Le maître se dit tout aussi évolué socialement, syndica1ement et politiquement, mais dans sa classe, il ne tolère pas qu'on contredise son autorité.

     

    Et l'on s'étonne que les enfants qui échappent un jour à cette autorité soient incapables de se commander eux-mêmes, de réfléchir et d'agir ; qu'ils soient inaptes à s'organiser et que leur principale préoccupation soit, maintenant et plus tard, d'échapper à l'autorité !

     

    l'Eco1e du peuple ne saurait être qu'une école démocratique préparant, par l'exemple et par l'action, la vraie démocratie.

     

    On sait que Freinet se faisait honneur de « ne pas écrire pour les clercs », de « ne pas se réclamer de leur enseignement »

     http://carnetderecherche.eklablog.com/l-affaire-celestin-freinet-sans-compter-elise-et-les-compagnons-a113083602

     

    Texte II

     

    Du rôle des autorités dans les sciences.

     

    L'autorité, souveraine en histoire, n'est-elle d'aucune utilité dans les autres sciences ? Le savant et le philosophe doivent-ils admettre ou rejeter les autorités ?

    Cette question a· été résolue dans les sens les plus divers. Tantôt on a exagéré le rôle de l'autorité au point d'en faire le critérium de la vérité scientifique, et tantôt, sous prétexte d'indépendance, on a prétendu n'en tenir aucun compte. Ce sont là deux erreurs également contraires à la raison, également funestes à la science. En fait :

     

    1° La science ne doit pas se contenter des autorités même les mieux établies ;

    2° Encore moins doit-elle les rejeter toutes ;

    3° Elle doit s'en servir comme d'un moyen pour arriver à son but, qui est l'évidence intrinsèque

     

    I. La science ne doit pas se contenter des autorités.

    Cet abus a été inauguré, dit-on. Par les Pythagoriciens. Pour lever tous les doutes et résoudre toutes les difficultés, il leur suffisait d'un mot : le maître l'a dit, et la question était tranchée. L'autorité d'Aristote a été, elle aussi, à certaines époques l'objet d'un respect superstitieux, et l'on a vu plusieurs de ses disciples se faire, selon le mot de Pascal, des oracles de toutes ses pensées, et des mystères même de ses obscurités.

    Il est facile de démontrer qu'une pareille méthode n'est pas celle des sciences proprement dites, moins encore de la philosophie.

    1. En effet, toute science est une connaissance par les causes et par les principes ; elle veut avoir l'évidence intrinsèque, s'expliquer les choses, en découvrir le pourquoi, le comment. Or la méthode d'autorité ne donne jamais qu'une évidence extrinsèque ; elle ne nous fait pas voir par nous-mêmes, mais seulement par les yeux d'autrui ; aussi ne conduit-elle pas à la science, mais à la croyance.

    Donc, si l'on excepte l'histoire, que la nature de son objet oblige à recourir à ce mode de connaissance, aucune science ne doit se contenter de recueillir et de critiquer les témoignages ; en aucun cas, l'autorité la mieux établie ne saurait lui tenir lieu de raison1 (1).

     

    2. Cet abus de l'autorité se réfute encore par les conséquences qu'il entraîne.

    De fait, si chaque savant se contente de répéter ce qui a été dit avant lui ; si, par respect pour ses devanciers, il se fait un crime de les contredire, et un attentat d'y ajouter (Pascal), la science n'est plus qu'un dépôt qu'il suffit de transmettre intact aux générations futures ; en d'autres termes, elle est condamnée à l'immobilité, et la raison humaine, "qui est faite pour l'infinité" se trouve ravalée au niveau de l'instinct stationnaire de la brute.

    Non ; la vérité étant infinie et la science, comme la raison, toujours susceptibles de progrès, le savant et le philosophe ont plus et mieux à faire que d'enregistrer les résultats obtenus avant eux.

     

    II.  Mais, s'il n'est pas scientifique de se contenter des autorités, il l'est bien moins encore de les mépriser toutes, ainsi qu'il est arrivé à plusieurs. Comme le dit Pascal, on corrigea un vice par un autre, et on ne fit nulle estime des anciens parce qu'on en avait fait trop.

    Ainsi Bacon affiche la prétention de renouveler la science de fond en comble : Instauratio facienda ab imis fundamentis, et Descartes déclare « qu'il n'y a rien à apprendre des livres et des écrits des philosophes, qu'il ne veut pas même savoir s'il y a eu des hommes avant lui " et, par suite, ne saurait» s'émouvoir beaucoup de leur autorité". A son tour, Malebranche « ne veut savoir que ce que Adam et Ève ont su, et retrouver par lui-même toute la vérité".

    1. Il est évident que c'est lit une attitude injustifiable, antiscientiflque au premier chef. Sans doute, il n'est pas philosophique d'admettre l'existence de Dieu ou l'immortalité de l'âme, uniquement par cette raison que les plus. Grands esprits de tous les siècles y ont toujours cru ; mais d'autre part, il est contraire au bon sens et à la logique de ne pas tenir compte de ce que les plus grands esprits ont constamment affirmé.

    2. Aussi bien, 'est-ce donner, et plus lourdement encore, dans l'écueil qu'on voulait éviter. Car le savant qui s'isole et qui, sous prétexte d'indépendance, s'obstine à ignorer ce qui a été dit avant lui, en est réduit à ses seules ressources ; il devient solipse, selon le mot de Leibniz. Il se condamne de gaieté de cœur à refaire ce qui est déjà fait, à recommencer sur nouveaux frais l'édifice entier de la science, comme aussi a parcourir sans cesse le cercle des mêmes erreurs : vrai travail de Sisyphe, dont le meilleur résultat se réduit à retrouver péniblement des vérités cent fois découvertes et toujours destinées à retomber dans l'oubli.

    3. Dès lors, que devient la science ? Ici encore elle est vouée à l'immobilité, avec cette différence toutefois que, si en se contentant des autorités, elle en restait du moins au niveau où l'ont portée les plus grands esprits, en les rejetant toutes, elle se voit souvent à la merci des plus médiocres. En réalité, il n'y a plus de science, à peine y a-t-il encore des savants.

     

    III. ─ Il ne faut donc ni mépriser les autorités, ni s'en contenter ; la seule attitude rationnelle du savant et du philosophe vis-à-vis de ceux qui l'ont précédé, c'est le respect. Mais, dit Pascal, comme la raison le fait naître, elle doit aussi le mesurer. Quelle sera cette mesure raisonnable ? Il est facile de le conclure de ce qui précède. En effet, si d'une part il ne faut pas se contenter des autorités comme suffisantes ; si, de l'autre, il ne faut pas les dédaigner comme superflues, reste qu'on les admette comme utiles, que l'on s'en serve comme de moyens pour arriver au but de la science, c'est-à-dire à l'évidence intrinsèque, à la connaissance par les causes et par les principes.

    C'est aussi la conclusion de Pascal : l'autorité, dit-il, est le moyen, non la fin de la science. C'est en observant une règle si sage que le savant se tiendra à égale distance d'un isolement orgueilleux et d'un assujettissement servile à la pensée d'autrui.

    Galilée avait bien compris !e rôle des autorités dans la science. "Je ne prétends pas, dit-il, qu'on doive refuser d'écouter Aristote ; j'approuve au contraire qu'on le consulte et qu'on l'étudie ; mais ce que je blâme, c'est qu'on se livre à lui comme une proie, et qu'on souscrive en aveugle à toute parole de lui, acceptée sans discussion comme un décret invariable.»

    De fait, la connaissance de ce qui a été dit avant lui simplifie beaucoup la tâche du savant.

    1. Tout d'abord, il y trouve une certaine somme de vérités désormais acquises à la science, des conquêtes définitives qu'il serait aussi regrettable de laisser se perdre que puéril de vouloir recommencer. Imagine-t-on aujourd'hui un philosophe qui s'enfermerait dans son cabinet pour trouver les règles du syllogisme, ou un calculateur s'acharnant à reconstruire les tables de logarithmes ? Sans doute, le savant ne doit pas accepter tous ces résultats sans contrôle ; mais il faut bien reconnaître qu'il est plus facile de vérifier une démonstration que de l'inventer.

    2. Et là même où les recherches antérieures n'ont pas abouti, il trouvera du moins une foule de problèmes posés, agités, sinon résolus : or, dit Joubert, en philosophie, il vaut mieux remuer une question sans la décider que la décider sans la remuer. D'autre part, certaines méthodes ont été employées, certaines démonstrations ébauchées, certains faits analysés ; or une analyse bien conduite n'est pas perdue pour n'avoir pas été utilisée, ou l'avoir été incomplètement par celui qui l'a faite ; elle peut contenir des matériaux excellents que chaque nouvel ouvrier, entrant dans le chantier de la science, n'a plus qu'à mettre en œuvre.

    3. Il n'est pas jusqu'aux erreurs elles-mêmes qui n'aient leur utilité. D'abord elles ont cet avantage, qu'en en prenant connaissance, nous sommes moins exposés à y tomber nous-mêmes. Comme le dit plaisamment Fontenelle : «Que de sottises ne dirions-nous pas aujourd'hui, si les anciens ne nous avaient devancés à l'égard d'un si grand nombre ! »

    Puis, un auteur a beau se tromper, s'il soulève de nouveaux problèmes, s'il nous oblige à creuser nos idées, à revoir nos conclusions, on peut dire qu'il instruit. L'erreur enseigne la vérité, disait Bacon. C'est ainsi que les conclusions darwiniennes et évolutionnistes, toutes fausses qu'elles sont en elles-mêmes, ont été pour la science un levain salutaire : « Les théories légitimes, dit le P. Boscovich, sont généralement le résultat d'essais infructueux et d'erreurs qui ont mis sur la voie de leur propre correction.» Et voilà comment l'erreur peut contribuer au progrès de la science.Un esprit vigoureux et sincère ne travaille jamais en vain ; même quand il développe l'erreur, il sert encore la cause de la vérité, et Diderot a pu dire, non sans quelque raison, qu'on doit souvent plus à une erreur singulière qu'à une vérité commune.

    4. Enfin, les opinions de ceux qui nous ont précédés sont encore un précieux contrôle pour nos propres idées ; une garantie de plus, si elles les confirment, un motif de défiance, si elles les contredisent. «Le vrai philosophe, dit J. Simon, abhorre l'originalité ; il ne se résigne qu'en tremblant à être seul. Il faut qu'il soit toujours prêt à rompre en visière à la tradition et à l'autorité, si l'évidence de la raison l'y contraint ; mais il faut surtout qu'il désire avec passion n'avoir pas à subir cette redoutable nécessité.»

    C'est par ce prudent usage des autorités que chaque savant profitera des travaux de ceux qui l'ont précédé, et qu'a son tour, prenant la science là où ils l'ont laissée, il la transmettra à ceux qui suivent, accrue et perfectionnée par ses propres recherches. C'est ainsi que, selon le mot de Pascal, toute la suite des hommes pendant le cours de tant de siècles, doit être considérée comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement.  Multi transibunt, sed auqebitur scientia, dit Bacon.

    Voilà comment, sans manquer de respect aux grands génies qui nous ont précédés, nous pouvons nous flatter d'en savoir plus qu'eux. Voila comment le moindre écolier ne craint pas aujourd'hui de contredire les plus grands philosophes des temps passés, et apprend en se jouant ce que Descartes et Newton ont mis des années à découvrir. Un nain assis sur l'épaule d'un géant le dépasse facilement de toute la tète. Or, dit encore Pascal, « les anciens s'étant élevés jusqu'à un certain degré où ils nous ont portés, le moindre effort nous fait monter plus haut, et avec moins de peine et moins de gloire nous nous trouvons au-dessus d'eux ». C'est ainsi qu'il faut entendre le mot souvent cité de Bacon : Veritas, temporis filia, non auctoritatis.

     

    Concluons que toute science a une partie historique, de nature à faciliter grandement le travail de ceux qui suivent, et qu'il n'est plus permis aujourd'hui d'aborder l'étude d'une science sans en consulter l'histoire. Il y a là comme une règle de méthode générale que Descartes et Bacon ont eu le tort de méconnaître.

     

    Ch Lahr, SJ, Cours de philosophie, 1904

    1On raconte qu'aux cours de mathématiques, les cadets d'avant la Révolution disaient négligemment à Monge, leur professeur : « Monsieur le professeur, donnez-nous votre parole d'honneur que ce théorème est vrai, nous vous dispenserons volontiers de la démonstration.».

     

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