• Je ne sais théoriquement comment m'en sortir avec cette histoire de "numérique". Le terme appartient à l'ordre de ces "archisèmes" dont le discours public, dont le discours scolaire, a le secret.

    Education scolaire, numérique et culture des médias (suite). Pourquoi le "numérique "?

    Celui-ci est bien entré (et ancré) dans la "doxa" de l'époque, et assez rapidement, au fond, comme si, pour se rassurer dans un trop grand trouble de la mutation, on avait besoin de simplismes génériques.

    Cette interrogation se situe en amont de ce qui est aujourd'hui extrapolé sous cette bannière, et qui donne lieu à de grandes envolées, lorsqu'on considère l'ensemble non du "numérique", mais des "nouvelles donnes". ET faute de chantier véritablement scientifique, le risque de la dérive vers la néo-idéologie est plus que jamais présent. Je ne suivrai donc pas ceux qui n'engagent pas l'analyse critique, mais, au contraire, emplissent le terme doxique, considéré comme a priori, comme donné (mais d'où ?) de nouveaux sens : "Les dictionnaires restent un peu perplexes devant le numérique leurs définitions ne renvoient souvent qu’à l’aspect étymologique et technique – un secteur associé au calcul, au nombre –, et surtout aux dispositifs opposés à l’analogique. Dans notre usage, le numérique désigne bien autre chose. C’est pourquoi la question de sa définition mérite d’être posée" (Milad Doueihi, Qu'est-ce que le numérique, PUF, 2013).

    Le tour est joué

    On aura du mal, à coup sûr avec "cultures numériques "et "culture des médias," mais ce sera l'occasion, à n'en pas douter, de réunions incessantes qui, faute de culture du genre, de préparations, de coordinations et de méthode, n'en finiront pas avec la glose, utile à la reproduction de la croyance en de modernes allégories... Comme s'il fallait conjurer le sort de la fin des grands récits.

    Vive l'étymologie

    J'ai pu lire une judicieuse remarque à propos d'un article sur "L’Education au Numérique, Grande Cause Nationale 2014" ? "Que signifie l’abandon des termes "ordinateur" et "informatique" "informatique" au profit du "numérique" ? S’agit-il d’un repeint ou y a-t-il véritablement quelque chose de nouveau ?

    Cela rejoint bien sûr quelques-unes de nos annotations de circonstance.

    La question est fondée : plus que de lexicologie, c'est un problème de classification et de désignation d'un univers culturel.  Le problème est le même que la définition des "médias", que l'on cherche aujourd'hui à noyer dans ce "tout-numérique". D’ailleurs, si l'on ne s'arrête pas à une acception restreinte, on verra que les « médias" recouvre une grande part de ce qui est évoqué sous l'intitulé "numérique ».

    Mais si un tel polysème est commode pour aller vite, c'est vraiment trop vite, trop grand, et trop flou pour penser et agir!

    C'est pourquoi nous avons préférer parler de "nouvelles donnes" pour tout ce qui concerne la configuration en cours, issue de sa mutation générale, avant de proposer une terminologie plus appropriée et nécessairement distinctive. .

    Le principal défaut de ce terme de "numérique" est qu'il réduit la configuration d’ensemble à un aspect particulier de sa générativité. Alors que l'archilexème prétend recouvrir l'ensemble d'un nouveau monde, il le confine à une de ses facettes.

    Autre paradoxe : l'étymologie du terme "numérique" nous renvoie à l'univers computationnel, et nous éloignant de la dimension proprement technique des nouvelles donnes, nous inscrit toujours dans l'ordre du langage.

     ***

    L’informatique désigne le « traitement rationnel, notamment par machines automatiques, de l'information ». Elle fonctionne en « programmes », « computations »… etc.

    Elle est plus vaste que l’ensemble des « machines algorithmique (calcul, mémoire, déterminations : celles-ci sont «  composée d'un assemblage de matériels correspondant à des fonctions spécifiques, capable de recevoir de l'information, dotée de mémoires à grande capacité et de moyens de traitement à grande vitesse, pouvant restituer tout ou partie des éléments traités, ayant la possibilité de résoudre des problèmes mathématiques et logiques complexes, et nécessitant pour son fonctionnement la mise en œuvre et l'exploitation automatique d'un ensemble de programmes enregistrés ».

    Il y a aussi les expansions de ces domaines.  On avait ainsi « télé-matique » comme intersection de l’informatique et de la télécommunication, ou « Cybernétique » comme croisement entre automatique et électronique, etc. On peut aller plus loin  en raison des intersections entre les ordres computationnel, médiatique (textuel ou « textique[1]), plexique. Ce que nous avons travaillé il y a vingt ans dans le champ PMR).

     

    Digital ou analogique ?

    Revenons à l’utilisation du terme particulier de « numérique » pour désigner un nouveau « milieu technique ».

    Apparemment, digital renvoie à ce qui « est exprimé par un nombre, utilise un système d'informations, de mesures à caractère numérique »… Tandis qu’analogique désigne davantage de mode de fonctionnement de la machine par correspondances entre systèmes…

    Le numérique lui renvoie massivement au Nombre. On est donc toujours dans le plan du langage mathématique…  

    J’avais récemment signalée la question du choix de la métonymie « numérique » pour désigner la conformation socio-technique en cours. V. sur le site Educavox 

    « Entre le Numérique et le Digital, quelle image plutôt qu’une autre ?  « Société numérique » ou « digital society ») ? Adopté par le français, l’un renvoie à l’univers computationnel, l’autre, préféré aussi en allemand, au nombre également, mais de manière surtout plus concrète (L’étymologie rapproche de la main : «  calculer sur les doigts » !). Ceci n’est pas sans incidence. Dans les deux cas, on utilise la métonymie de la technique sous-jacente aux outils et aux machines et l’avantage serait alors de renvoyer à une culture de la production technique… Or, le nombre consigne encore ici le primat du langage dans la conception de l’homme. Ce n’est donc pas le moindre paradoxe que l’on ait choisi le rapport au langage et à la mathématique pour désigner un ensemble d’univers d’« objets » et de procédures matérielles et immatérielles : par une étrange persistance de l’antique attachement à la suprématie du logos, et tout en restant dans le domaine de la technique (mécanique/électronique/cybernétique), on inverse par conséquent le point de vue »

    ***

    Il y a aussi des questions étranges comme celle-ci : pourquoi le terme de numérique a-t-il supplanté celui de digital ? C’est un peu à la française la même histoire que celle, au 19è s. du succès emporté par l’écologie sur la mésologie… Revanche inconsciente sur l'Allemagne, qui alors, l'avait emporté! Rapporté à la production  mythique d’ensemble ces questions permettraient d’alimenter par de tels exemples ponctuels une « théorie de la civilisation ».



    [1] Le terme a été consacré à un usage différent (Ricardou 1985)

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  • « Penser l’éducation aux médias et au numérique »

    Ma revue de presse scolaire me fait rencontrer un extrait de déclaration d'un respectable inspecteur général, friand de nouveautés techniques. Et qui déclare énoncer comme "priorités" :

    "Repenser les lieux et les tps d’apprentissage

    et penser une éducation aux médias et au numérique"

    Penser, trop penser

    Source : 123rf

    Cette dernière phrase infinitive, et infinie (in-finie), renvoie plus au discours scolaire qui nous a gâtés ces dernières années en "penser" (on peut tout "penser"...). Il renvoie donc au paradigme du "trop penser" dont j'ai par ailleurs développé l'étude (elle même infinie, car on n'en finit pas, notamment dans les colloques de "sciences humaines" de "penser"). Et indéfinie, tant l'ambiguïté du terme prête à perplexité, d'autant qu'une analyse n'est, là non plus, disponible.

    Il renvoie dans le même élan au paradigme des "éducation à", qui, dans le domaine cité (les médias), et sans doute dans d'autres, est surtout, sous couvert de "transversalité", une "dispense d'enseigner". Il faut s’intéresser aux déterminations historiques, politiques, idéologiques de l’expression

    "Education aux médias" se comprenait, pour des raisons conjoncturelles, comme de communication dans l'espace international, et nous l'avons utilisée il y a un quart de siècle. mais aujourd'hui, en raison des tours pris sous cet intitulé, et de ses dégradation sémantiques, il mériterait d'être revisité ; d'autant qu'il semble désormais "infuser" une vaste zone de flou.

    Or, il est précisément popularisé aujourd'hui, avec un fol retard, comme si la discours avait supplanté le réel, et avait figé ce qui avait été un temps une dynamique.

    Il ne s'agit donc pas non plus ici de "repenser" un domaine à l'intitulé "vieilli". Cela pourrait passer, au sens où la masse des travaux, et leur qualité, engagés il y a plus d'un quart de siècle, suffirait pour une mise à plat, et une clarification. S'il s'agit du « rapport éducatif scolaire aux médias", il serait correct d'effectuer alors une synthèse des quatre dernières décennies, et de recourir à un éclairage plus général : philosophie de l’éducation et « éducation seconde », pédagogie, philosophies de la technique, théories des transferts,  etc.

    Las! Noyons encore le poisson. Savoir dans quel but, voilà l'affaire.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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  • Je suis frappé dans l'actualité de la littérature scolaire par la montée en force d'un étrange configuration de la répétition et de la réitération de considérations portant sur des questions que nous avons naguère (cela fait un bout de temps!) quelque peu travaillées...

     

    Source : 123rf

    Les exemples s'ajoutent aux exemples.

    Ce n'est pas anodin. Et il est troublant que ni du côté des philosophes, ni du côté des historiens de l'éducation, ne se manifeste quelque étude du phénomène. Dans les domaines que je connais un peu, mes dernières lectures font état d'un ensemble d'exemples, qui lui donne assez d'ampleur pour ne pas le considérer comme anodin, voire passager. Ce qu'on espérerait.

    Ces passages peuvent sans grand frais être rapportés à la galaxie d'ensemble, et l'on invoquera le présentisme, ou encore quelque effet des nouvelles tendances de la néo-idéologie, soucieuse de conforter un monde lisse, sans prise de distance, ni souci de quelque transmission.

    Le plus inquiétant pour la culture scolaire, et éducationnelle, reste qu'aucun signal ne se manifeste chez les spécialistes pour engager au moins un début d'étonnement. Ce qui fait que l'analyse du prodige reste à ce jour improbable.

     

     

     

     

     

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  • Clemi : mais où est donc passée la première décennie ?

     

      « On ne peut pas cacher une information » (une journaliste)

    Résumé

    Croyons raisonnable l’attachement à l’historicité, et, s’agissant de pédagogie, à l’enrichissement patrimonial. Parmi les réunions actuelles « sur les hauteurs », celle qui a célébré le 30è anniversaire de la création du Clemi mérite une attention particulière, pour comprendre ce qui sous-tend la politique officielle actuelle en matière de relation au milieu de vie. A l’abri des grands fronts d’agitation ou des regards critiques, le secteur est pourtant caractéristique de ce qui se joue.

    Quel est le signal émis par ces réunions de « commémoration » sans « remémoration » ? Envolées supérieures, congratulations : pour autant, a-t-il été question de reconnaissance (remerciements et exploration), d’hier, pour demain ? Car, sur le fond, que serait un anniversaire qui ne ramènerait pas le souvenir ? En quelque sorte, « assorti d’oubli » ? Qui au fond se passerait de genèse ?

    Éducation, numérique et pédagogie des médias (2) Clemi : mais où est donc passée la première décennie ?

    Tout le monde s’accorderait aujourd’hui, pour exalter quelque devoir de mémoire. Il s’agirait là d’un principe fondamental en démocratie comme en science. Sauf qu’il pourrait se faire quelque exception, pour les besoins de la cause. Dans le domaine à haute teneur en valorisation et forte « urgence » (nous disait-on) du rapport éducatif aux médias, l’absence d’une histoire rigoureuse oblitère quelque peu les chances de jugement lucide. Des pans entiers de « vérité pratique » ont ainsi été occultés, au profit d’un discours d’autorité, généraliste et panégyrique, à base de formulations telles que : « enjeux de citoyenneté démocratique », « outil d’ouverture interculturelle », « e-démocratie », « avenir de la recherche en éducation aux médias » etc.

    D’une manière générale, je n’aime pas, en matière de coopération éducative et de patrimoine pédagogique, comme dans la pratique de recherche, tout ce qui relève de l’oubli, des œillères, ou des interdits. A mes yeux, le devoir de mémoire et de reconnaissance ne peut se partager et doit s’appliquer en tous points. C’est pourquoi je considère toute négation du passé – quel qu’il soit et quelles qu’en soient les raisons - comme gravissime. J’essaie pour ma part, comme chercheur, ou comme philosophe, toujours, à mon tour, de « dire ma dette », de rendre hommage aux prédécesseurs à qui je dois tout. Cela me semble… tout simplement normal.

     

    Mais où est donc passée la première décennie ?

    Quel beau sujet de thèse ! Et quel de mes collègues l’engagera ? Je ne vois pas en effet dans ces réunions, de souvenir des origines, pourtant récentes… Je ne vois aucun des noms de « pionniers »[1] de la fondation… Et non plus de monographie ou autres « récits de vie ». Peut-on (rationnellement) faire « anniversaire » en effaçant purement et simplement les dix premières années et l’énorme travail accompli à l’époque ?

    Cette singularité relative à la « mémoire du sens » est-elle le fruit d’une négligence, tient-elle à un pur hasard, ou relève-t-elle d’une « absence significative » ? Sans doute est-elle à resituer dans « trois moments » du rapport scolaire aux médias en France : années précursives « d’ébullitions militantes » des années 60-70 ; prise en compte progressive par l’institution à partir du milieu des années 70 jusqu’à la fondation du Clemi ; et trente ans plus tard, aux hésitations actuelles dans le grand tout de l’ « EMI », et la « galaxie numérique ».

    Fondation

    Les premières années du Clemi ont fait l’objet d’un investissement très significatif. L’effort institutionnel consenti est alors important, le ministère ayant permis de déployer une forte énergie économique, humaine, pédagogique. Conçu comme fer de lance, le centre bénéficiait d’habiletés et de convictions. Il constituait alors un « modèle » qui aurait été bien utile sur d’autres thématiques, notamment pour impulser du mouvement et promouvoir des valeurs.

    La « première méthode » ouvrait sur de nouveaux espaces, de nouvelles conceptions. Elle permettait d’espérer des avancées conséquentes, selon un idéal en pédagogie, en recherche, en coopération. Il avait donc semblé à cette époque que l’institution scolaire allait avancer dans le sens d’une prise en compte dynamique des nouveaux espaces de la culture.

    Mais le système scolaire français pouvait-il, et à quelles conditions, dynamiser l’expérience, encourager dans les faits et à la base, développer et diversifier les ouvertures ? Il a existé quelques temps, dans le domaine des médias une « fenêtre » en ce sens. C’était, à l’échelle de l’accélération des nouvelles donnes, « il y a longtemps ». Et la preuve d’une telle possibilité n’a pas été faite de manière durable.

    Barre à tribord

    On l’a échappé belle ! Milieu des années 90 : virage stratégique et théorique. Larguons les amarres ! Aux débats et aux inventions de la première époque ont succédé l’univocité théorique (une seule manière de penser) et l’hémidoxie idéologique (pas question d’alternative). A l’encontre de l’utopie d’une mission publique, indépendante des pressions… Ce n’est d’ailleurs pas propre à ce centre qui a alors changé de fonction, sinon de nature. Celui-ci est passé du statut de fer de lance sur le fond des choses, de carrefour stimulant des énergies et des dynamismes, de lieu coopératif, à celui d’appareil au service de causes inavouées, et « d’agence de communication culturelle spécialisée. Exierunt alors les pédagogues et les chercheurs, et surtout les porteurs de sens critique, jugés peu utiles, voire encombrants, à côté des formateurs patentés (retranchés, « comme autrefois »), des agents dévoués de l’appareil. Une forme de gouvernance « nouvelle culture », en repli idéologique, et en opposition aux enthousiasmes des débuts. Dès lors, l’organisme contrôlé par une poignée d’oligarques du thème n’a rien à voir avec le centre qui a été inventé, pensée et porté il y a plus d’un quart de siècle. Dès lors, vidé de son sang le dossier s’est vidé de son sens.

    Pré carré et grand tout

    Ou plutôt, il a « changé de sens  ». Sur le plan idéologique, le domaine – d’une grande importance éducative, d’une grande charge axiologique – a alors été confisqué par une faction libérale, qui a fait, à son profit, main basse sur l’institution. A supposer que les idéaux des pionniers aient passé pour libertaires, ce qui n’était pas le cas, car ils relevaient plutôt de l’attachement à la tradition coopérative, ou d’une éthique de la convivialité, ils n’en étaient pas moins honorables. Et, sur le plan des principes, le service public, en démocratie, s’honorerait d’observer au moins une règle de diversité, respectueuse de « toutes les familles d’esprit »[2][2], a fortiori dans le domaine des médias, qui ne font eux pas montre d’une grande diversité d’appartenance culturelle ! La « version officielle » alimente cet aveuglement. Or, même à renonçant à la ligne « engagée » des débuts, le Clemi aurait pu maintenir la tension entre diverses tendances, et non s’engouffrer dans la voie unidimensionnelle.

    Tout se passe alors comme si tout le travail sur le fond et le contenu des décennies précédentes avait laissé place à un discours éloigné de la vitalité pédagogique, comme de l’excellence scientifique, large et apparemment bienveillant, mais à la fois tenace et inefficace (mais habile au sein de l’appareil). Il s’agit d’un discours de communication, à usage académique et politique, qui ne garantit nulle véracité dans l’action.

    Mémoire et transmission

    L’utilisation des « forces vives » convaincues, de la période fondatrice, a donc laissé place à des objectifs égotistes, et à des orientations politiques « correctes », d’un tout autre ordre que celui de l’esprit qui anima les précurseurs . Nous avons longtemps travaillé, avec conviction et pour certains d’entre nous, quelque abnégation, en toute naïveté, pour des causes et des intérêts privés et idéologiques qui n’étaient pas les nôtres et n’avons guère été utilisés pour un « service public » digne de ce nom.

    Le résultat a été la consolidation d’une officine, désormais soucieuse de fonctionner à la manière d’un pôle communicant, ou de participer à un réseau universitaire spécialisé, avec ses experts et ses « échanges internationaux. Etc. Mais plus globalement, il n’était pas envisageable que l’organisme soit porteur de conceptions jugées désormais marginales ou dangereuses, et tôt ou tard (pourquoi attendre !), il devait tomber dans l’escarcelle de la pensée dominante. Du même coup, les avancées précises et les programmes pointus sont remplacés par un vague grand tout formel. Qui, s’il ennoblit le propos, ou le suralimente en image, ne consiste pas à l’enraciner, encore moins à le… populariser.

    Si bien que la publicité a, superficiellement, rallié les clercs : on a ouvert la boîte de Pandore, pour permettre à tout un « expert » d’ambitionner alors en « éducation aux médias », slogan éparpillé désormais en nébuleuse. Et de caser sous cet intitulé toute une action basique relative aux « pratiques numériques ».

    Nous voilà bien loin du « développement durable »[3] Le principe reste... ! Le « vide » créé par l’abandon des « lignes de sens » a eu une double conséquence : une déperdition de la substance ; et en même temps, faute de ces références, la tendance à produire du sens fictif. Pour qui connaît un peu l’histoire du domaine, tout se passe également comme si nous étions revenus en arrière : en rejoignant la « voie anglo-saxonne », délaissant la « voie française »[4], pourtant riche de promesses : mais jugée par trop « critique ». De ce point de vue, la « décennie fondatrice » peut être considérée, paradoxalement, en effet, comme une parenthèse. Elle n’a donc pas lieu d’être. Et aujourd’hui, nous avons affaire à une « masse discursive instituée » d’un trop vaste domaine aux contenus superficiels.

     

    « L’image peut mentir »

    « Dans mon, pays on remercie » (René Char, Les matinaux)

    « REMERCIER, verbe trans. A. - 1. Dire merci à quelqu’un, lui exprimer de la gratitude.

    C. - P. euphém. Mettre fin poliment aux services de quelqu’un » (TLF)

    Pour en revenir au programme de telle réunion du genre cité, on ne voit guère de récit, pas plus qu’on ne rend hommage. Trop vieille coutume[5]. Comment dès lors écrire l’histoire active en tronquant ce qui ne serait pas convenable ? Notre « pédagogie de l’image » se gaussait des manipulations iconiques, et des images truquées de la propagande ! Las. Pourtant, « ce qui peut être récompensé aujourd’hui est dû à ceux qui étaient là avant nous ». C’est digne. Et c’était aussi une leçon de nos pères : que le monde existait avant nous, et qu’avant la linguistique, il y avait la philologie. Avant l’« éducation aux médias » il y avait la « pédagogie des médias ». Mais le temps ici s’est ratatiné : l’ensemble de ce qui est alors passé à la trappe est, qualitativement surtout, considérable.

    Traces et traçabilité ?

    Ceux qui sont dans la vie quotidienne attentifs à la recherche en qualité pour la consommation de produits alimentaires distinguant entre les uns, avec indication d’origine de production, et les autres, ont-ils leurs homologues soucieux de traçabilité pédagogique ?

    Tout le monde ne sera pas sur la photo d’anniversaire. Dans mon cas, c’est assez logique ! Mais les autres, ceux qui ont tant fait ? Pour le chercheur en pédagogie des médias, il reste quelques empreintes fossiles : on a pris soin de ne pas en indiquer la provenance. D’autant qu’à l’époque du plagiatgénéral, certains n’hésitent pas aujourd’hui à reprendre à leur compte des énoncés qui ont plusieurs décennies : et, pour les nouvelles donnes, les prophètes médiatiques à retardement ne manquent pas ! Je suis donc très irrité de voir nos travaux encore utilisés, à l’état résiduel, sans aucune indication de source, fondus dans une masse pour laquelle ils n’étaient pas destinés. L’utilisation sans vergogne des travaux de la « première décennie », à usage individuel ou institutionnel, est bien sûr une faute morale. C’est une faute ordinaire que d’avoir découragé voire parfois sanctionné la génération de ceux qui ont porté sur le fond le succès [6]du Clemi, au profit de l’ancrage institutionnel formel et de la production promotionnelle, dont l’efficacité éducationnelle n’est pas prouvée, hors le jeu interne aux hautes sphères et aux équilibres du système. Plus profondément, en termes de transmission, c’est, plus qu’une anomalie, un « risque mémoriel ». Car on voit là une marque d’influence, non de reconnaissance. Toute mémoire enfouie requiert inconsciemment son dû.

    Amnésie lacunaire…

    « Il n’y a pas de non-dit pour une information digne de ce nom » (un auditeur de France Inter)

    Si j’énonce : « Cette période n’a pas existé », cette omission a-t-elle un sens ? Pour un organisme qui devrait apprendre la lecture critique, gommer sur la photo relève de l’antiphrase sublime. De telles pratiques étaient-elles irresponsables, ou tout simplement « idéologiques » (nouvelles donnes, échanges en réseaux horizontaux, éducation à l’Europe, recherche etc. ?). Effacement jusqu’aux traces monographiques et bibliographiques mêmes. Mais enfin tout cela est assez logique : dès la fin des années 90, il ne reste rien des efforts pionniers. De ce fait, pourquoi parler d’un passé qui n’existe pas ? Le principe de négation (de ce que j’ai appelé ailleurs obscurance[7]) est à la base de toutes les régressions culturelles. Qu’il soit à l’œuvre dans un domaine où précisément il s’agirait de fonder de l’avenir sur la reconnaissance d’un progrès est pour le moins troublant.

    … et secrets de famille

    Nous avons travaillé naguère sur « la transparence ». Aujourd’hui, on s’interroge sur les « secrets »[8].Tout secret a sa raison d’être. Cela dit, la « version officielle » est-elle absolue ? Bien sûr que non. Mais l’époque est à la pensée univoque, et non pas celle de nouvelles Lumières qui perpétueraient la critique de l’argument d’autorité. Cette question ne se réduit pas à un dossier administratif, à l’entretien de l’appareil, ou à un thème mandarinal : c’est l’affaire de tous qui mérite un tout autre effort que quelques prises de positions, tel nième colloque, telle injonction supérieure de la gouvernance, tel affichage envahissant (mais sur le sens, à terme invasif)…. Elle est prioritaire toutes affaires cessantes, et dépasse largement les intérêts des propriétaires d’une « chasse gardée » ou les efforts des relais du simple maillage administratif[9].

    Remémoration et reconnaissance

    Au-delà du constat des « effacements » du discours accrédité, il faut se demander quelle en est la signification. En raison des qualités attribuées aux participants (réputés sérieux) de ces réunions, peut-il s’agir de négligence ? Il faut aussi resituer ces problèmes dans le contexte de « crise endémique » (et sans doute constitutive et structurelle) qui les englobe ou les génère, faute de s’attaquer aux bases : crise de la transmission (marquée notamment par le présentisme) ; de la conviction : mise en défaut du principe de véracité, rejet du principe dialogique et renoncement débat sur le fond ; disjonction du discours et de l’action, qui aboutissent à des sentiments de fuite et d’impuissance (s’enfle le propos, s’appauvrit l’effectivité), marquée aussi par l’invocation sans frais de l’ « éthique » et des leçons de morale… ; crise enfin de la participation et de la coopération… Il ne me revient pas de situer ces problèmes dans l’ensemble d’une « histoire du rapport scolaire aux médias », qui à ce jour nous fait défaut. Car qui écrit cette histoire ?

    Plus donc on commémore, plus on doute de l’élan démocratique (J.-P. Labrousse), et moins on remémore. Il est certes possible d’ignorer les origines. Mais à quel prix ? L’élan ne se décrète pas. Et les dispositifs institutionnels formels ne se suffisent pas à eux-mêmes s’ils ne sont pas « facilitateurs ». Il est ainsi pénible d’entendre des propos édifiants, et pour qui connaît (un tant soit peu) le dossier, peu crédibles tels que ceux d’un haut responsable du système : vers une « co-construction collaborative qui permet à chacun d’être acteur »[10]. Chic !

    Aujourd’hui, on assiste à d’improbables resucées, sans que grand monde s’en offusque, et à des représentations creuses, sans que grand monde s’en étonne : les discours sont vides, le dossier est vide, non de quelques relations universitaires, d’attaches administratives, de tracts ou de manifestations publiques, mais de sens. Car sans cela rien ne vaut. Au vu des propos à courte portée, on peut craindre que le flot « numérique » - et le vertige qui l’accompagne - n’engloutisse les espoirs d’intelligence liée à la « compréhension du milieu ». Encore une fois, il sera donc important de se demander ce qui a été « oublié » pendant la première décennie.

    Le discours scolaire nous a habitués à afficher des intentions louables et floues, et des missions contraires à celles que l’école remplit véritablement. Pour l’instant, le rapport scolaire aux médias oscille entre grandes envolées, gadget pédagogique et immédiateté du sens. Nous voilà bien éloignés de l’idéal de fondation d’un « nouvel humanisme » !

    Il faut en ce sens être attentif ce que recouvre l’hyperslogan « éducation aux médias et à l’information », et à son utilisation dans la néo-économie scolaire. Cache-misère ou tentative d’un nouveau récit mythique ? Car sous cette bannière s’avance peut-être la néo-idéologie en matière culturelle, d’autant plus tranquillement que, depuis la rupture, elle ne rencontre plus guère de résistance. Le thème du rapport éducatif aux médias est désormais absorbé dans le scolarisme du moment, et nourrit le « socle » et ses « compétences ». Au vu des tendances en cours, on peut redouter de nouvelles normes scolastiques, en lieu et place des formidables opportunités de changer de monde. Et, aux dernières nouvelles, forclos les novateurs et les dissidents, le débat est clos.

    Mais enfin, on ne peut en effet pas attendre de l’école néo-capitaliste (ou postlibérale etc.) qu’elle accepte que se développe en son sein des entreprises alternatives. Mais on pourrait en théorie attendre de l’« école de la République » qu’elle garantisse le pluralisme et le principe kantien de « liberté de penser »[11], sans attendre quelque moderne « éthique de la discussion » ! Ici, il n’en est rien, et nul besoin de couvrir la réalité de phrases irrecevables. Car nous ne serions plus, si nous le voulions, des enfants crédules. Donner à voir ou à rêver n’est pas convier tous à participer de fait.

    Ces phénomènes portent en eux-mêmes leur dangerosité : ce qui devait faire l’objet d’un profond débat pédagogique nourrit à peu de frais la nouvelle doxa. Pour revenir sur le message de l’Education nouvelle, dont on se réclame toujours volontiers çà et là, et invoqué sans vergogne par des responsables dont toute l’action s’y oppose, nous n’en sommes pas là au premier ni au dernier détournement, surtout (hélas) de Freinet, et l’on est, ici également, confronté à une vision lisse, contraire à celle qui anima l’idéal en action de l‘école du peuple.

     

     

    Corpus accessible

    Colloque « Citoyenneté et mutations médiatiques : quelle vision pour l’éducation aux médias ? »

    « Politiques publiques d’éducation aux médias et à l’information en Europe : enjeux de formation à l’ère du numérique » (13-14 décembre 2013



    [1] Du moins du monde inférieur des « ingénieurs » ! Et même, peu des « communicants ».

     

    [2] C’était une des devises de la charte déontologique initiale…

    [3] Voir mon travail daté « Expérimentation et transmission : conditions méthodologiques de « développement durable », http://www.inrp.fr/biennale/5bienna...

    [4] Portant sur l’enrichissement méthodologique à partir des leçons transposables de la pédagogie des « nouvelles donnes », et inspirée par les « pédagogies nouvelles

    [5] Ce cas intéressant, qui pourrait ici passer pour de la muflerie, rejoint sans doute une configuration plus générale en cours, impliquant l’anhistoricité. Cette fois-ci, c’est plus sérieux.

    [6] Celui-ci n’était pas alors le fait d’une directive supérieure mais le fruit d’un travail collaboratif sur les contenus. C’est une erreur, de croire que l’institution et la loi peuvent en elles-mêmes entraîner l’adhésion.

    [7] N’y pensons plus : une hypothèse d’école (A propos de l’obscurantisme), 2008

    [8] « C’est le sceau qui fait le secret. (…) Un peu de rigueur, s’il vous plaît : pour passer de l’inconnu au secret proprement dit, il faut encore se demander par qui la chose est cachée. (…) bien que tu, un secret s’énonce, il satisfait des motifs, il recèle une valeur mesurable. » (Paul Soriano, Médium n°37-38, Secrets à l’heure numérique, oct 2013). Ce n’est pas là non plus la moindre des ironies : il se trouve qu’un des contributeurs de ce dossier de la très respectable revue de Régis Debray signe comme… directrice du Clemi.

    [9] Ici encore, il faut resituer dans un ensemble : la confiscation « libérale » et le monopole idéologique touchent les pratiques courantes, qui minent en profondeur la recherche et l’action.

    [10] Déclaration au Colloque anniversaire du Clemi, 15 /11/2013. Encore, par conséquent, faudrait-il changer de logiciel ! En attendant, le discours scolaire officiel est empli de ces énormités.

    [11] Formulé notamment dans « Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ? » (1786)

     

    ***

    Article paru sous ce titre sur le site Questions de classes http://www.questionsdeclasses.org/?Education-numerique-et-pedagogie,1005

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  • La mise en scène de l’innovation

    Article paru sous ce titre sur le site Questions de classes

     

    « Le bien commun ne peut se confondre avec des profits individuels ni avec des enjeux idéologiques partisans » (quidam, 3D dimanche, 8/12/13)

    Résumé

    Quelques réunions récentes et à venir, dans les hautes sphères, continuent à installer dans le discours scolaire le syntagme « éducation aux médias, à l’information et au numérique ».

    En pratique, le dispositif institutionnel français actuel n’a rien à voir avec celui qui avait été un temps imaginé il y a trois décennies et dont les principales conceptions ont été abandonnées. Seules restent quelques « traces résiduelles », mais le sens, lui a basculé. Pour en délibérer plus profondément que par les archives et les témoignages, nous manquons de monographie comme, pour en juger, de panorama réel des réalisations. Encore moins d’histoire scientifique du rapport de l’éducation scolaire aux médias. Ce qui est encouragé aujourd’hui sous ces intitulés, les évolutions à prévoir, méritent la plus grande attention. 

    Cet article s’interroge dans un premier temps sur la fonction de la mise en scène scolaire (qui ne se limite pas à ce domaine, mais y est intimement liée) puis sur celle du non-dit et de l’insu qu’elles manifestent. A titre de questionnement. La balle reste dans le camp des chercheurs.

    Éducation, numérique et pédagogie des médias (1)

         Mur de marionnettes. Maison des Métallos

     

    Dans le sujet qui nous préoccupe, qui est celui d’une pensée de l’éducation pour aujourd’hui, et qui ne pourrait désormais être l’objet que d‘un auteur collectif, la question du rapport de l’éducation scolaire aux médias devrait depuis belle lurette faire l’objet de toutes les attentions. Au principal, il s’agit des modifications du milieu de vie, des modes de pensée, du sujet de l’éducation, des relations d’étude, et, au-delà, d’une mutation bien engagée, mais dont personne ne semble vraiment tirer conséquence, au-delà du simple constat (à retardement et répétition) et des bavardages sur la surface immédiate des choses. Tant le système scolaire français tient à l’art des rendez-vous manqués - retard endémique, erreurs de dimensionnement, ingénierie défaillante. 

    Ce serait pour l’éducation scolaire, la priorité absolue. Toutes affaires cessantes, avions-nous martelé. Facile à dire : en réalité, la question des « nouvelles donnes » est toujours marginalisée, contenue, et par l’institution, qui n’entend pas aller plus loin que l’alibi d’une bien convenue « éducation à » et par la communauté universitaire, qui préfère là se réfugier dans le philosophisme ou le technicisme, ou se poster sur des franges particularisées, à l’opposé d’une prise en compte réflexive frontale suffisante ; et par les tenants du genre eux-mêmes, dont on ne saurait préciser le nombre, tant les acteurs sont légions, nous dit-on, et qui en tous cas défendent leur territoire tout en le maintenant sur un faible niveau de recul théorique. Certains poussent même jusqu’à « se la jouer solo », alors précisément qu’il s’agit d’une affaire d’intérêt général. A penser se servir, ils ne rendent pas service à l’avancée commune de la question, qui est « cause commune ». Mais en novlangue scolaire, quand « il y a urgence »… c’est qu’on a le temps.

    *** 

    Voilà déjà, en effet, trente ans, que le ministère de l’éducation français a intégré le thème des moyens d’information dans son dispositif. Parmi les récentes réunions officielles portant sur le rapport scolaire aux médias, sous l’intitulé « d’éducation aux médias »,  celle qui marque le trentième anniversaire de la création d’un centre dédié[1] consigne ce qui est depuis quelques temps confirmé dans l’ordre du « discours scolaire » en l’espèce.

    Cette manifestation confraternelle donc est à rapprocher de précédentes (et futures) rencontres spécialisées dans le domaine du rapport scolaire aux médias, lui-même chapeauté par des ensembles plus vastes encore, consignés sous le vocable « d’éducation aux médias et à l’information (EMI)», par ailleurs englobée par le syntagme improbable de l’ « éducation au numérique ».

    Ces réunions académiques et politiques ont en commun une rhétorique de la distance : temporelle (car il y a oubli et urgence), sociale (car les hiérarques se placent bien loin du pédagogue et de ses réalités), factuelle (mises en scène et tribunes, communication institutionnelle)… Elles consignent une vieille fracture contre laquelle nous avons tenté de lutter, entre le monde d’en haut, et celui de la base.

     

    Pourtant, ce n’est pas un jeu, et ces légèretés persistantes paraissent (mais elles ont sans doute une explication) dérisoires au regard de l’enjeu, qui lui est considérable.

     

    La scène

    Que visent à (re)présenter les grands plateaux officiels, internes à l’éducation nationale, servis récemment sur ce thème ? Le dispositif scénique de ces réunions est toujours celui de la « tribune hiérarchique » et de la salle des adeptes. Par ordre alphabétique d’entrée en scène, on voit donc défiler un important aréopage de hautes qualités – responsables,  personnalités, experts, bardés de diplômes ou de titres :  administrateur, administratif, agent, avocat, chargé de formation, chargé de mission, chercheur patenté, conseiller gouvernemental, culturel, consultant, député, détaché, directeur (de service, ou général), dirigeant, docteur, expert (« auprès de l’Unesco, auprès des Institutions européennes »), formateur (de haut vol), hiérarque, journaliste en vue, manager, néo-mandarin, piliers (de ministère, d’académie, d’appareil, d’association), politique, président (de commissions, de fondations), professeur ( agrégé, émérite,  d’école de journalisme), responsable (éditorial ; de programmes à l’UNESCO), syndicaliste, universitaire.  Sans compter tant de « personnalités qualifiées ». Tous fins connaisseurs…

    Mise en scène « politique » certes, mais  aussi anaphore des proclamations d’intentions en lieu et place de détermination praxéologique. Dans les programmes de ces rendez-vous, je suis frappé par l’absence d’inscription dans l’historicité, de panorama critique, ou de grande synthèse sur le fond.

    Nous atteindrons sans doute prochainement des sommets du genre. Jusqu’où pourra-t-on monter plus haut : « Politiques publiques d’éducation aux médias et à l’information en Europe : enjeux de formation à l’ère du numérique » (13-14 décembre 2013)[2]. Ne pense pas la « translittératie » qui veut, et à si grands frais!

     

    La superbe

    Quelle est donc la fonction de ces opérations, fortement connotées et  ritualisées ? Mis en boucle (car on tourne en rond), ces plateaux de prestige, entre proclamation néo-managériale et retrouvailles au sommet, constituent un formidable exposé magistral collectif, supérieur et pyramidal. Tout en haut, ceux qui pensent - ils sont si loin : connivence et congratulations - et, tout en bas (dans les ateliers, ou à titre d’exemples, de TP pour le cours, et d’enfants sages) ceux qui font. Gens de peu.

     

    Dans ce contexte, l’emphase n’a rien pour rassurer : plus s’enfle le propos, plus l’art pédagogique se rétrécit ; l’écart vertigineux entre discours pieux et modestes réalités est d’autant plus cruel que nous avions cru jadis pouvoir adopter un tout autre chemin. Les pratiques convenues de cette « stratégie mondaine »,  verticale et fractale, sont peut-être à resituer dans le cadre général de la tendance au « spectacle » et à la mise en scène généralisée (les moyens dont nous disposons aujourd’hui permettent ces hyperboles  de propagande - ce qui n’était pas le cas il y a encore vingt ans, et dans les années d’effervescence antérieures. J’ai même trouvé dans ce contexte : « Mise en scène des productions numériques des élèves»). Il faut rapprocher cette configuration de la forte tendance actuelle à la dissémination : se multiplient alors tous azimuts les exemples d’activités scolaires liés aux techniques nouvelles et aux « médias », souvent de « vieilles recettes », et sous le vocable d’« innovation » un joyeux pêle-mêle, dont il faut espérer qu’il en sortira un jour quelque chose : mais aucun dispositif de réflexion ou de « refondation » ne le garantit à ce jour, et si perdure le « fétichisme numérique », il faut s’attendre à quelques désillusions.    

    En tous cas, ces méthodes de communication active ne garantissent en rien la solidité profonde et l’enracinement de ce qui devrait, depuis longtemps déjà, constituer l’essentiel d’un changement de conception éducative. Le déploiement d’un matériel de promotion conséquent, en rien la véracité de l’action et la réalité des terrains, même si on clone les exemples vertueux. Le discours propagandiste versé par le haut est au service d’une conception oligarchique[3] à l’opposé d’une parole partagée, en réseaux, en développements, en débat, etc. Est-il en arrière fond la croyance en la capacité publicitaire à entraîner les adhésions ? Ou s’agit-il d’un simple effet d’avis officiel destiné à masquer la faiblesse de l’action, et la nature des conceptions réelles qui pourraient la sous-tendre ?  

     

    La France revient d’ailleurs dans ces domaines à des pratiques institutionnelles antérieures, notamment chez les anglo-saxons, où l’ouvrage, le colloque et le rapport, de préférence dans les institutions internationales, l’emportent sur l’action de terrain, et bien entendu ne génèrent pas de « sens pédagogique », essentiellement au double bénéfice des hiérarques et du discours scolaire. Il y a là une double distorsion, temporelle, et sociale : de telles pratiques de « fuite par le haut ou en avant » au regard des problèmes sérieux qui se posent à l’école sont tout bonnement pathétiques et le grand écart entre les « postures supérieures » et l’humble quotidien pose en soi question ; et il faut se demander pourquoi ceux qui l’entretiennent dépensent autant d’énergie dans les couloirs et les antichambres de palais, plutôt que de s’employer à fonder du sens critique et pédagogique.

     

     

    Corpus public

    Conférence nationale Cultures numériques, Éducation aux médias et à l’information

     http://emiconf-2013.ens-lyon.fr/.

    Colloque "Citoyenneté et mutations médiatiques : quelle vision pour l’éducation aux médias ?"

    http://www.clemi.org/fr/les-30-ans/programme/

    « Politiques publiques d’éducation aux médias et à l’information en Europe : enjeux de formation à l’ère du numérique » (13-14 décembre 2013http://www.univ-paris3.fr/politiques-publiques-d-education-aux-medias-et-a-l-information-en-europe-244265.kjsp

    http://www.lactuwebdedith.com/2013/09/colloque-international-education-aux.html

    Colloque international Education aux médias : Nouveaux enjeux, rôles et statuts des acteurs (13-14 mars 2014, Abidjan)

     


    [1] Le Clemi, alors « Centre de liaison de l’enseignement et des moyens d’information ». Beaucoup ont considéré à l’époque de la création par Alain Savary d’un centre dédié qu’il s’agissait d’une grande avancée : l’institution scolaire reconnaissait enfin l’importance du domaine, prenait enfin en compte nos efforts, allait intégrer les données d’une pédagogie des médias portée trop longtemps par des francs tireurs et des initiatives associatives à la marge. Les journalistes précurseurs du mouvement de « la presse à l’école » se réjouissaient de voir leurs messages parvenus jusqu’au ministère de l’éducation, les pédagogues du genre d’être reconnus et espéraient-ils, désormais moins maltraités

    [2] Car : « A l’heure où de nombreux acteurs du monde politique, économique, social et associatif se posent la question de la transition numérique à l’école, les membres du projet ANR TRANSLIT (convergence entre éducation aux médias, à l’information et à l’informatique), en association avec le réseau européen COST « Transforming Audiences/Transforming Societies », organisent un  « Colloque international » sur le sujet »…

    [3] Ce qui est gênant, ce n’est pas l’organisation, la hiérarchie en soi (pourvu qu’elle sache rester respectueuse, modeste, dévouée). On peut concevoir un système de gouvernances et d’organisation apaisé, de relations saines entre niveaux d’interventions – responsables, praticiens etc. et nous avons connu quelques rares inspecteurs généraux respectueux. Mais c’est bien la surhiérarchie, c’est à dire une hiérarchie symbolique qui ne s’avoue pas comme telle et entretient la fracture. 

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