• Tout le monde peut se tromper

    Tracer l'itinéraire : originer

    En considérant les deux textes à l'origine d'une nouvelle recherche en "philosophie de l'éducation", entamée en 1996, et formalisée en 1999 ("Philosophie de l'éducation : La transmission et son texte. Figures de l'imaginaire pédagogique"), puis jalonnée par quelques étapes, attachée notamment à la théorétique de la transmission, je me rends compte bien entendu de l'approximation que cela représentait. Je suis moi-même fautif du flou terminologique autour de l’expression de « philosophie de l‘éducation ».

    En même temps, je me rends compte de la difficulté d’une sorte de « philosophie concrète » en éducation. Les questions posées alors n’étaient plus de l’ordre de mes études précédentes, notamment en analyse, ingénierie pédagogique ; ni de l’ordre de  la recherche praxéologique, mais prenaient une forme plus difficile[1].

     

    Il importait à l’époque de consigner l’évidence d’un point aveugle théorique à partir de l’exemple de la faillite d’un important programme d’action publique et de recherche-action relatif à la pédagogie des médias et à l’Europe. Si l’expérience nous avait donné raison pendant cinq ans, l’institution nous a donné tort[2]. D'autres problèmes plus massifs sont apparus alors. Sans compter les problèmes de fonctionnement institutionnel, de culture scolaire, nous étions confrontés à un déficit en déontologie et en analyse, et aussi en référentiel philosophique et anthropologique, l’action ne se donnant pas les moyens d’un retour réflexif sur elle-même.

    Il s'agissait, en situation de crise aiguë, et de bascule historique dans les repères, d'attirer l'attention sur une double exigence, réciproque, de l'action pédagogique et de la pensée éducative. Le premier article m’avait été demandé par mes amis de Saint-Nazaire pour les Cahiers pédagogiques, dont la démocratique supervision a réussi : il a été refusé. Le second a été versé au Rencontres du Centenaire de Freinet à Rennes : fraîchement accueilli, il a été sitôt mis sous le boisseau[3].

     

    ***

     

    Le premier de ces  textes, Europe, médias, réseaux : pour une philosophie de l'éducation, était versé à propos de la notion improbable d’innovation, item majeur du discours scolaire actuel. Il s’agissait davantage d’introduire l’idée d’une réflexivité accrue en pratique éducative[4]. 

    De la même façon, Freinet et l'innovation : pour une philosophie de l'action éducative, portait sur les nécessités d’une philosophie attachée à la praxéologie. Du même coup, s’ouvrait une autre voie relative  à la transmission du au patrimoine éducatif et pédagogique : celle d’interroger la possibilité d’une actualisation du message de Freinet, quant à la méthode active et son contexte social, et singulièrement l’articulation nouvelle, singulièrement sur le plan strictement pédagogique, l’articulation imprimerie/journal/correspondance.

     

    Une autre époque avait débuté. En même temps, des problèmes inédits commençaient à se poser, pour lesquels aussi il faut envisager d’autres modes de pensée, sans attendre quelque grande Réforme venue d’en haut. Peut-être, et selon, quelles conditions, sommes-nous capables de nous renouveler ?

     

     

     

                Affiche du programme fax! (PMR, 1989-1995), par Napo pour Comité de pilotage européen.

     

    Le premier texte, Europe, médias, réseaux : pour une Philosophie de l'éducation (1996) m'avait été demandé par les Cahiers pédagogiques. Il a été censuré. Cette seule indication aurait dû attirer notre attention sur les évolutions de cette période!

    Toutefois, le titre était quelque peu trompeur : car enfin, le problème était la fin d'une époque critique de "pédagogie des médias" et de "formation aux médias", et je reliais cette évolution, aux conséquences dramatiques, à l'absence d'une capacité (ou d'une "instance") en réflexité sur l'action, à caractère philosophique.

    Il était également ambigu, en raison de la confusion possible avec la posture en "supplément d'âme", pratiquée volontiers dans les sciences de la communication dont je fus quelques années un acteur institutionnel.  Il s'agit bien de cela! La question, plus simplement, était celle des raisons de l'action. Et elle était, en cela insupportable à l'employeur (Education nationale) dont les visées ne s'accordaient pas avec cette revendication humaniste.

    La seconde intervention, Freinet aujourd'hui : pour une philosophie de l'action éducative, 1996,versée au congrès Freinet de Rennes, fut tout aussi froidement reçue : né d'une relation étroite avec des "acteurs" (des "militants"!) du mouvement Freinet, élaborée selon une visée de pédagogie active proche des apports de Freinet, notamment dans un travail d'actualisation de l'articulation entre le "journal scolaire" et la "correspondance", le programme européen "fax!" (Programme Médias Réseaux), au succès international considérable, avait été enrayé avec brutalité par l'organisme ministériel même qui l'avait soutenu,  et alors même qu'il constituait un des fleurons de nos actions en pédagogie des médias. 

    Dans ce deuxième article, l'intitulé me semble plus correct : c'est en effet de philosophie de l'action (pdae) qu'il s'agissait. Et c'est une voie toujours ouverte, toujours à renouveler : celle du travail de lucidité sur les nécessités de l'action et ses développements. Et ses aléas, quand elle se heurte au système en place, qu'il ne s'agit pas de faire bouger.

    La question est d'actualité, quand on constate aujourd'hui le déchaînement autour de l'holistique du "numérique".  

    Dans les deux cas, il s'agit de distinguer les deux dimensions présentes : celle de l'action éducative, puisque dans le contexte de la promotion du rapport éducatif aux médias il en était question! Dans la même situation institutionnelle, nous nous sommes attachés à montrer les limites d'une posture réflexive, en termes en effet de "philosophie de pratique éducative" (au sens de la "philosophie politique de l'éducation" chez Marcel Gauchet). En termes plus strictement pédagogiques, il nous fallait aussi interroger la possibilité d'actualisation du message de Freinet, sur les grands axes de ses conceptions de l'activité et du milieu de vie.

    ***

    Outre donc diverses perspectives en analyse politique, en méthodologie et en histoire du rapport éducatif aux médias,  nous avons été amenés, comme à notre insu, à distinguer les deux domaines où le travail philosophique consistera à dépasser les généralités d’une philosophie de l’éducation qui peut se perdre dans l’holistique ou le moralisme, et les futilités du « supplément d’âme ».

     

    De la même façon, il s’agit dans ces cas de renouer avec une philosophie critique, attachée à la concrétude de son objet, auquel elle est intimement liée. C'est là un troisième point de départ : celui d'une nécessité critique adaptée aux évolutions. Le bouleversement et le brouillage des repères exigent en effet de renouveler en ce sens nos modes de pensée. A défaut on ne comprend rien – et on laisse aller.

     

     



    [1] D’autant que les lâchages de mes anciens collègues, camarades ou interlocuteurs de la recherche la rendaient solitaire.

    [2] Le programme de recherche-action européenne « fax ! » - Programme Médias réseaux, 1994†  

    [3] Ces deux événements étaient contraires aux habitudes que j’avais prises, d’être considéré comme persona grata et auteur compétent dans ces domaines, et comme compagnon ou sympathisant de mouvements pédagogiques. Contraire aussi à toutes les normes de coopération et de service auxquelles j’avais crues. L’interdiction d’éditer avait  commencé au sein de l’institution avec la censure des actes de l’important  Séminaire européen du Futuroscope. 

    [4] Au sens de la « philosophie politique de l’éducation » chez Marcel Gauchet.

     

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