• Clemi : mais où est donc passée la première décennie ?

     

      « On ne peut pas cacher une information » (une journaliste)

    Résumé

    Croyons raisonnable l’attachement à l’historicité, et, s’agissant de pédagogie, à l’enrichissement patrimonial. Parmi les réunions actuelles « sur les hauteurs », celle qui a célébré le 30è anniversaire de la création du Clemi mérite une attention particulière, pour comprendre ce qui sous-tend la politique officielle actuelle en matière de relation au milieu de vie. A l’abri des grands fronts d’agitation ou des regards critiques, le secteur est pourtant caractéristique de ce qui se joue.

    Quel est le signal émis par ces réunions de « commémoration » sans « remémoration » ? Envolées supérieures, congratulations : pour autant, a-t-il été question de reconnaissance (remerciements et exploration), d’hier, pour demain ? Car, sur le fond, que serait un anniversaire qui ne ramènerait pas le souvenir ? En quelque sorte, « assorti d’oubli » ? Qui au fond se passerait de genèse ?

    Éducation, numérique et pédagogie des médias (2) Clemi : mais où est donc passée la première décennie ?

    Tout le monde s’accorderait aujourd’hui, pour exalter quelque devoir de mémoire. Il s’agirait là d’un principe fondamental en démocratie comme en science. Sauf qu’il pourrait se faire quelque exception, pour les besoins de la cause. Dans le domaine à haute teneur en valorisation et forte « urgence » (nous disait-on) du rapport éducatif aux médias, l’absence d’une histoire rigoureuse oblitère quelque peu les chances de jugement lucide. Des pans entiers de « vérité pratique » ont ainsi été occultés, au profit d’un discours d’autorité, généraliste et panégyrique, à base de formulations telles que : « enjeux de citoyenneté démocratique », « outil d’ouverture interculturelle », « e-démocratie », « avenir de la recherche en éducation aux médias » etc.

    D’une manière générale, je n’aime pas, en matière de coopération éducative et de patrimoine pédagogique, comme dans la pratique de recherche, tout ce qui relève de l’oubli, des œillères, ou des interdits. A mes yeux, le devoir de mémoire et de reconnaissance ne peut se partager et doit s’appliquer en tous points. C’est pourquoi je considère toute négation du passé – quel qu’il soit et quelles qu’en soient les raisons - comme gravissime. J’essaie pour ma part, comme chercheur, ou comme philosophe, toujours, à mon tour, de « dire ma dette », de rendre hommage aux prédécesseurs à qui je dois tout. Cela me semble… tout simplement normal.

     

    Mais où est donc passée la première décennie ?

    Quel beau sujet de thèse ! Et quel de mes collègues l’engagera ? Je ne vois pas en effet dans ces réunions, de souvenir des origines, pourtant récentes… Je ne vois aucun des noms de « pionniers »[1] de la fondation… Et non plus de monographie ou autres « récits de vie ». Peut-on (rationnellement) faire « anniversaire » en effaçant purement et simplement les dix premières années et l’énorme travail accompli à l’époque ?

    Cette singularité relative à la « mémoire du sens » est-elle le fruit d’une négligence, tient-elle à un pur hasard, ou relève-t-elle d’une « absence significative » ? Sans doute est-elle à resituer dans « trois moments » du rapport scolaire aux médias en France : années précursives « d’ébullitions militantes » des années 60-70 ; prise en compte progressive par l’institution à partir du milieu des années 70 jusqu’à la fondation du Clemi ; et trente ans plus tard, aux hésitations actuelles dans le grand tout de l’ « EMI », et la « galaxie numérique ».

    Fondation

    Les premières années du Clemi ont fait l’objet d’un investissement très significatif. L’effort institutionnel consenti est alors important, le ministère ayant permis de déployer une forte énergie économique, humaine, pédagogique. Conçu comme fer de lance, le centre bénéficiait d’habiletés et de convictions. Il constituait alors un « modèle » qui aurait été bien utile sur d’autres thématiques, notamment pour impulser du mouvement et promouvoir des valeurs.

    La « première méthode » ouvrait sur de nouveaux espaces, de nouvelles conceptions. Elle permettait d’espérer des avancées conséquentes, selon un idéal en pédagogie, en recherche, en coopération. Il avait donc semblé à cette époque que l’institution scolaire allait avancer dans le sens d’une prise en compte dynamique des nouveaux espaces de la culture.

    Mais le système scolaire français pouvait-il, et à quelles conditions, dynamiser l’expérience, encourager dans les faits et à la base, développer et diversifier les ouvertures ? Il a existé quelques temps, dans le domaine des médias une « fenêtre » en ce sens. C’était, à l’échelle de l’accélération des nouvelles donnes, « il y a longtemps ». Et la preuve d’une telle possibilité n’a pas été faite de manière durable.

    Barre à tribord

    On l’a échappé belle ! Milieu des années 90 : virage stratégique et théorique. Larguons les amarres ! Aux débats et aux inventions de la première époque ont succédé l’univocité théorique (une seule manière de penser) et l’hémidoxie idéologique (pas question d’alternative). A l’encontre de l’utopie d’une mission publique, indépendante des pressions… Ce n’est d’ailleurs pas propre à ce centre qui a alors changé de fonction, sinon de nature. Celui-ci est passé du statut de fer de lance sur le fond des choses, de carrefour stimulant des énergies et des dynamismes, de lieu coopératif, à celui d’appareil au service de causes inavouées, et « d’agence de communication culturelle spécialisée. Exierunt alors les pédagogues et les chercheurs, et surtout les porteurs de sens critique, jugés peu utiles, voire encombrants, à côté des formateurs patentés (retranchés, « comme autrefois »), des agents dévoués de l’appareil. Une forme de gouvernance « nouvelle culture », en repli idéologique, et en opposition aux enthousiasmes des débuts. Dès lors, l’organisme contrôlé par une poignée d’oligarques du thème n’a rien à voir avec le centre qui a été inventé, pensée et porté il y a plus d’un quart de siècle. Dès lors, vidé de son sang le dossier s’est vidé de son sens.

    Pré carré et grand tout

    Ou plutôt, il a « changé de sens  ». Sur le plan idéologique, le domaine – d’une grande importance éducative, d’une grande charge axiologique – a alors été confisqué par une faction libérale, qui a fait, à son profit, main basse sur l’institution. A supposer que les idéaux des pionniers aient passé pour libertaires, ce qui n’était pas le cas, car ils relevaient plutôt de l’attachement à la tradition coopérative, ou d’une éthique de la convivialité, ils n’en étaient pas moins honorables. Et, sur le plan des principes, le service public, en démocratie, s’honorerait d’observer au moins une règle de diversité, respectueuse de « toutes les familles d’esprit »[2][2], a fortiori dans le domaine des médias, qui ne font eux pas montre d’une grande diversité d’appartenance culturelle ! La « version officielle » alimente cet aveuglement. Or, même à renonçant à la ligne « engagée » des débuts, le Clemi aurait pu maintenir la tension entre diverses tendances, et non s’engouffrer dans la voie unidimensionnelle.

    Tout se passe alors comme si tout le travail sur le fond et le contenu des décennies précédentes avait laissé place à un discours éloigné de la vitalité pédagogique, comme de l’excellence scientifique, large et apparemment bienveillant, mais à la fois tenace et inefficace (mais habile au sein de l’appareil). Il s’agit d’un discours de communication, à usage académique et politique, qui ne garantit nulle véracité dans l’action.

    Mémoire et transmission

    L’utilisation des « forces vives » convaincues, de la période fondatrice, a donc laissé place à des objectifs égotistes, et à des orientations politiques « correctes », d’un tout autre ordre que celui de l’esprit qui anima les précurseurs . Nous avons longtemps travaillé, avec conviction et pour certains d’entre nous, quelque abnégation, en toute naïveté, pour des causes et des intérêts privés et idéologiques qui n’étaient pas les nôtres et n’avons guère été utilisés pour un « service public » digne de ce nom.

    Le résultat a été la consolidation d’une officine, désormais soucieuse de fonctionner à la manière d’un pôle communicant, ou de participer à un réseau universitaire spécialisé, avec ses experts et ses « échanges internationaux. Etc. Mais plus globalement, il n’était pas envisageable que l’organisme soit porteur de conceptions jugées désormais marginales ou dangereuses, et tôt ou tard (pourquoi attendre !), il devait tomber dans l’escarcelle de la pensée dominante. Du même coup, les avancées précises et les programmes pointus sont remplacés par un vague grand tout formel. Qui, s’il ennoblit le propos, ou le suralimente en image, ne consiste pas à l’enraciner, encore moins à le… populariser.

    Si bien que la publicité a, superficiellement, rallié les clercs : on a ouvert la boîte de Pandore, pour permettre à tout un « expert » d’ambitionner alors en « éducation aux médias », slogan éparpillé désormais en nébuleuse. Et de caser sous cet intitulé toute une action basique relative aux « pratiques numériques ».

    Nous voilà bien loin du « développement durable »[3] Le principe reste... ! Le « vide » créé par l’abandon des « lignes de sens » a eu une double conséquence : une déperdition de la substance ; et en même temps, faute de ces références, la tendance à produire du sens fictif. Pour qui connaît un peu l’histoire du domaine, tout se passe également comme si nous étions revenus en arrière : en rejoignant la « voie anglo-saxonne », délaissant la « voie française »[4], pourtant riche de promesses : mais jugée par trop « critique ». De ce point de vue, la « décennie fondatrice » peut être considérée, paradoxalement, en effet, comme une parenthèse. Elle n’a donc pas lieu d’être. Et aujourd’hui, nous avons affaire à une « masse discursive instituée » d’un trop vaste domaine aux contenus superficiels.

     

    « L’image peut mentir »

    « Dans mon, pays on remercie » (René Char, Les matinaux)

    « REMERCIER, verbe trans. A. - 1. Dire merci à quelqu’un, lui exprimer de la gratitude.

    C. - P. euphém. Mettre fin poliment aux services de quelqu’un » (TLF)

    Pour en revenir au programme de telle réunion du genre cité, on ne voit guère de récit, pas plus qu’on ne rend hommage. Trop vieille coutume[5]. Comment dès lors écrire l’histoire active en tronquant ce qui ne serait pas convenable ? Notre « pédagogie de l’image » se gaussait des manipulations iconiques, et des images truquées de la propagande ! Las. Pourtant, « ce qui peut être récompensé aujourd’hui est dû à ceux qui étaient là avant nous ». C’est digne. Et c’était aussi une leçon de nos pères : que le monde existait avant nous, et qu’avant la linguistique, il y avait la philologie. Avant l’« éducation aux médias » il y avait la « pédagogie des médias ». Mais le temps ici s’est ratatiné : l’ensemble de ce qui est alors passé à la trappe est, qualitativement surtout, considérable.

    Traces et traçabilité ?

    Ceux qui sont dans la vie quotidienne attentifs à la recherche en qualité pour la consommation de produits alimentaires distinguant entre les uns, avec indication d’origine de production, et les autres, ont-ils leurs homologues soucieux de traçabilité pédagogique ?

    Tout le monde ne sera pas sur la photo d’anniversaire. Dans mon cas, c’est assez logique ! Mais les autres, ceux qui ont tant fait ? Pour le chercheur en pédagogie des médias, il reste quelques empreintes fossiles : on a pris soin de ne pas en indiquer la provenance. D’autant qu’à l’époque du plagiatgénéral, certains n’hésitent pas aujourd’hui à reprendre à leur compte des énoncés qui ont plusieurs décennies : et, pour les nouvelles donnes, les prophètes médiatiques à retardement ne manquent pas ! Je suis donc très irrité de voir nos travaux encore utilisés, à l’état résiduel, sans aucune indication de source, fondus dans une masse pour laquelle ils n’étaient pas destinés. L’utilisation sans vergogne des travaux de la « première décennie », à usage individuel ou institutionnel, est bien sûr une faute morale. C’est une faute ordinaire que d’avoir découragé voire parfois sanctionné la génération de ceux qui ont porté sur le fond le succès [6]du Clemi, au profit de l’ancrage institutionnel formel et de la production promotionnelle, dont l’efficacité éducationnelle n’est pas prouvée, hors le jeu interne aux hautes sphères et aux équilibres du système. Plus profondément, en termes de transmission, c’est, plus qu’une anomalie, un « risque mémoriel ». Car on voit là une marque d’influence, non de reconnaissance. Toute mémoire enfouie requiert inconsciemment son dû.

    Amnésie lacunaire…

    « Il n’y a pas de non-dit pour une information digne de ce nom » (un auditeur de France Inter)

    Si j’énonce : « Cette période n’a pas existé », cette omission a-t-elle un sens ? Pour un organisme qui devrait apprendre la lecture critique, gommer sur la photo relève de l’antiphrase sublime. De telles pratiques étaient-elles irresponsables, ou tout simplement « idéologiques » (nouvelles donnes, échanges en réseaux horizontaux, éducation à l’Europe, recherche etc. ?). Effacement jusqu’aux traces monographiques et bibliographiques mêmes. Mais enfin tout cela est assez logique : dès la fin des années 90, il ne reste rien des efforts pionniers. De ce fait, pourquoi parler d’un passé qui n’existe pas ? Le principe de négation (de ce que j’ai appelé ailleurs obscurance[7]) est à la base de toutes les régressions culturelles. Qu’il soit à l’œuvre dans un domaine où précisément il s’agirait de fonder de l’avenir sur la reconnaissance d’un progrès est pour le moins troublant.

    … et secrets de famille

    Nous avons travaillé naguère sur « la transparence ». Aujourd’hui, on s’interroge sur les « secrets »[8].Tout secret a sa raison d’être. Cela dit, la « version officielle » est-elle absolue ? Bien sûr que non. Mais l’époque est à la pensée univoque, et non pas celle de nouvelles Lumières qui perpétueraient la critique de l’argument d’autorité. Cette question ne se réduit pas à un dossier administratif, à l’entretien de l’appareil, ou à un thème mandarinal : c’est l’affaire de tous qui mérite un tout autre effort que quelques prises de positions, tel nième colloque, telle injonction supérieure de la gouvernance, tel affichage envahissant (mais sur le sens, à terme invasif)…. Elle est prioritaire toutes affaires cessantes, et dépasse largement les intérêts des propriétaires d’une « chasse gardée » ou les efforts des relais du simple maillage administratif[9].

    Remémoration et reconnaissance

    Au-delà du constat des « effacements » du discours accrédité, il faut se demander quelle en est la signification. En raison des qualités attribuées aux participants (réputés sérieux) de ces réunions, peut-il s’agir de négligence ? Il faut aussi resituer ces problèmes dans le contexte de « crise endémique » (et sans doute constitutive et structurelle) qui les englobe ou les génère, faute de s’attaquer aux bases : crise de la transmission (marquée notamment par le présentisme) ; de la conviction : mise en défaut du principe de véracité, rejet du principe dialogique et renoncement débat sur le fond ; disjonction du discours et de l’action, qui aboutissent à des sentiments de fuite et d’impuissance (s’enfle le propos, s’appauvrit l’effectivité), marquée aussi par l’invocation sans frais de l’ « éthique » et des leçons de morale… ; crise enfin de la participation et de la coopération… Il ne me revient pas de situer ces problèmes dans l’ensemble d’une « histoire du rapport scolaire aux médias », qui à ce jour nous fait défaut. Car qui écrit cette histoire ?

    Plus donc on commémore, plus on doute de l’élan démocratique (J.-P. Labrousse), et moins on remémore. Il est certes possible d’ignorer les origines. Mais à quel prix ? L’élan ne se décrète pas. Et les dispositifs institutionnels formels ne se suffisent pas à eux-mêmes s’ils ne sont pas « facilitateurs ». Il est ainsi pénible d’entendre des propos édifiants, et pour qui connaît (un tant soit peu) le dossier, peu crédibles tels que ceux d’un haut responsable du système : vers une « co-construction collaborative qui permet à chacun d’être acteur »[10]. Chic !

    Aujourd’hui, on assiste à d’improbables resucées, sans que grand monde s’en offusque, et à des représentations creuses, sans que grand monde s’en étonne : les discours sont vides, le dossier est vide, non de quelques relations universitaires, d’attaches administratives, de tracts ou de manifestations publiques, mais de sens. Car sans cela rien ne vaut. Au vu des propos à courte portée, on peut craindre que le flot « numérique » - et le vertige qui l’accompagne - n’engloutisse les espoirs d’intelligence liée à la « compréhension du milieu ». Encore une fois, il sera donc important de se demander ce qui a été « oublié » pendant la première décennie.

    Le discours scolaire nous a habitués à afficher des intentions louables et floues, et des missions contraires à celles que l’école remplit véritablement. Pour l’instant, le rapport scolaire aux médias oscille entre grandes envolées, gadget pédagogique et immédiateté du sens. Nous voilà bien éloignés de l’idéal de fondation d’un « nouvel humanisme » !

    Il faut en ce sens être attentif ce que recouvre l’hyperslogan « éducation aux médias et à l’information », et à son utilisation dans la néo-économie scolaire. Cache-misère ou tentative d’un nouveau récit mythique ? Car sous cette bannière s’avance peut-être la néo-idéologie en matière culturelle, d’autant plus tranquillement que, depuis la rupture, elle ne rencontre plus guère de résistance. Le thème du rapport éducatif aux médias est désormais absorbé dans le scolarisme du moment, et nourrit le « socle » et ses « compétences ». Au vu des tendances en cours, on peut redouter de nouvelles normes scolastiques, en lieu et place des formidables opportunités de changer de monde. Et, aux dernières nouvelles, forclos les novateurs et les dissidents, le débat est clos.

    Mais enfin, on ne peut en effet pas attendre de l’école néo-capitaliste (ou postlibérale etc.) qu’elle accepte que se développe en son sein des entreprises alternatives. Mais on pourrait en théorie attendre de l’« école de la République » qu’elle garantisse le pluralisme et le principe kantien de « liberté de penser »[11], sans attendre quelque moderne « éthique de la discussion » ! Ici, il n’en est rien, et nul besoin de couvrir la réalité de phrases irrecevables. Car nous ne serions plus, si nous le voulions, des enfants crédules. Donner à voir ou à rêver n’est pas convier tous à participer de fait.

    Ces phénomènes portent en eux-mêmes leur dangerosité : ce qui devait faire l’objet d’un profond débat pédagogique nourrit à peu de frais la nouvelle doxa. Pour revenir sur le message de l’Education nouvelle, dont on se réclame toujours volontiers çà et là, et invoqué sans vergogne par des responsables dont toute l’action s’y oppose, nous n’en sommes pas là au premier ni au dernier détournement, surtout (hélas) de Freinet, et l’on est, ici également, confronté à une vision lisse, contraire à celle qui anima l’idéal en action de l‘école du peuple.

     

     

    Corpus accessible

    Colloque « Citoyenneté et mutations médiatiques : quelle vision pour l’éducation aux médias ? »

    « Politiques publiques d’éducation aux médias et à l’information en Europe : enjeux de formation à l’ère du numérique » (13-14 décembre 2013



    [1] Du moins du monde inférieur des « ingénieurs » ! Et même, peu des « communicants ».

     

    [2] C’était une des devises de la charte déontologique initiale…

    [3] Voir mon travail daté « Expérimentation et transmission : conditions méthodologiques de « développement durable », http://www.inrp.fr/biennale/5bienna...

    [4] Portant sur l’enrichissement méthodologique à partir des leçons transposables de la pédagogie des « nouvelles donnes », et inspirée par les « pédagogies nouvelles

    [5] Ce cas intéressant, qui pourrait ici passer pour de la muflerie, rejoint sans doute une configuration plus générale en cours, impliquant l’anhistoricité. Cette fois-ci, c’est plus sérieux.

    [6] Celui-ci n’était pas alors le fait d’une directive supérieure mais le fruit d’un travail collaboratif sur les contenus. C’est une erreur, de croire que l’institution et la loi peuvent en elles-mêmes entraîner l’adhésion.

    [7] N’y pensons plus : une hypothèse d’école (A propos de l’obscurantisme), 2008

    [8] « C’est le sceau qui fait le secret. (…) Un peu de rigueur, s’il vous plaît : pour passer de l’inconnu au secret proprement dit, il faut encore se demander par qui la chose est cachée. (…) bien que tu, un secret s’énonce, il satisfait des motifs, il recèle une valeur mesurable. » (Paul Soriano, Médium n°37-38, Secrets à l’heure numérique, oct 2013). Ce n’est pas là non plus la moindre des ironies : il se trouve qu’un des contributeurs de ce dossier de la très respectable revue de Régis Debray signe comme… directrice du Clemi.

    [9] Ici encore, il faut resituer dans un ensemble : la confiscation « libérale » et le monopole idéologique touchent les pratiques courantes, qui minent en profondeur la recherche et l’action.

    [10] Déclaration au Colloque anniversaire du Clemi, 15 /11/2013. Encore, par conséquent, faudrait-il changer de logiciel ! En attendant, le discours scolaire officiel est empli de ces énormités.

    [11] Formulé notamment dans « Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ? » (1786)

     

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    Article paru sous ce titre sur le site Questions de classes http://www.questionsdeclasses.org/?Education-numerique-et-pedagogie,1005

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  • La mise en scène de l’innovation

    Article paru sous ce titre sur le site Questions de classes

     

    « Le bien commun ne peut se confondre avec des profits individuels ni avec des enjeux idéologiques partisans » (quidam, 3D dimanche, 8/12/13)

    Résumé

    Quelques réunions récentes et à venir, dans les hautes sphères, continuent à installer dans le discours scolaire le syntagme « éducation aux médias, à l’information et au numérique ».

    En pratique, le dispositif institutionnel français actuel n’a rien à voir avec celui qui avait été un temps imaginé il y a trois décennies et dont les principales conceptions ont été abandonnées. Seules restent quelques « traces résiduelles », mais le sens, lui a basculé. Pour en délibérer plus profondément que par les archives et les témoignages, nous manquons de monographie comme, pour en juger, de panorama réel des réalisations. Encore moins d’histoire scientifique du rapport de l’éducation scolaire aux médias. Ce qui est encouragé aujourd’hui sous ces intitulés, les évolutions à prévoir, méritent la plus grande attention. 

    Cet article s’interroge dans un premier temps sur la fonction de la mise en scène scolaire (qui ne se limite pas à ce domaine, mais y est intimement liée) puis sur celle du non-dit et de l’insu qu’elles manifestent. A titre de questionnement. La balle reste dans le camp des chercheurs.

    Éducation, numérique et pédagogie des médias (1)

         Mur de marionnettes. Maison des Métallos

     

    Dans le sujet qui nous préoccupe, qui est celui d’une pensée de l’éducation pour aujourd’hui, et qui ne pourrait désormais être l’objet que d‘un auteur collectif, la question du rapport de l’éducation scolaire aux médias devrait depuis belle lurette faire l’objet de toutes les attentions. Au principal, il s’agit des modifications du milieu de vie, des modes de pensée, du sujet de l’éducation, des relations d’étude, et, au-delà, d’une mutation bien engagée, mais dont personne ne semble vraiment tirer conséquence, au-delà du simple constat (à retardement et répétition) et des bavardages sur la surface immédiate des choses. Tant le système scolaire français tient à l’art des rendez-vous manqués - retard endémique, erreurs de dimensionnement, ingénierie défaillante. 

    Ce serait pour l’éducation scolaire, la priorité absolue. Toutes affaires cessantes, avions-nous martelé. Facile à dire : en réalité, la question des « nouvelles donnes » est toujours marginalisée, contenue, et par l’institution, qui n’entend pas aller plus loin que l’alibi d’une bien convenue « éducation à » et par la communauté universitaire, qui préfère là se réfugier dans le philosophisme ou le technicisme, ou se poster sur des franges particularisées, à l’opposé d’une prise en compte réflexive frontale suffisante ; et par les tenants du genre eux-mêmes, dont on ne saurait préciser le nombre, tant les acteurs sont légions, nous dit-on, et qui en tous cas défendent leur territoire tout en le maintenant sur un faible niveau de recul théorique. Certains poussent même jusqu’à « se la jouer solo », alors précisément qu’il s’agit d’une affaire d’intérêt général. A penser se servir, ils ne rendent pas service à l’avancée commune de la question, qui est « cause commune ». Mais en novlangue scolaire, quand « il y a urgence »… c’est qu’on a le temps.

    *** 

    Voilà déjà, en effet, trente ans, que le ministère de l’éducation français a intégré le thème des moyens d’information dans son dispositif. Parmi les récentes réunions officielles portant sur le rapport scolaire aux médias, sous l’intitulé « d’éducation aux médias »,  celle qui marque le trentième anniversaire de la création d’un centre dédié[1] consigne ce qui est depuis quelques temps confirmé dans l’ordre du « discours scolaire » en l’espèce.

    Cette manifestation confraternelle donc est à rapprocher de précédentes (et futures) rencontres spécialisées dans le domaine du rapport scolaire aux médias, lui-même chapeauté par des ensembles plus vastes encore, consignés sous le vocable « d’éducation aux médias et à l’information (EMI)», par ailleurs englobée par le syntagme improbable de l’ « éducation au numérique ».

    Ces réunions académiques et politiques ont en commun une rhétorique de la distance : temporelle (car il y a oubli et urgence), sociale (car les hiérarques se placent bien loin du pédagogue et de ses réalités), factuelle (mises en scène et tribunes, communication institutionnelle)… Elles consignent une vieille fracture contre laquelle nous avons tenté de lutter, entre le monde d’en haut, et celui de la base.

     

    Pourtant, ce n’est pas un jeu, et ces légèretés persistantes paraissent (mais elles ont sans doute une explication) dérisoires au regard de l’enjeu, qui lui est considérable.

     

    La scène

    Que visent à (re)présenter les grands plateaux officiels, internes à l’éducation nationale, servis récemment sur ce thème ? Le dispositif scénique de ces réunions est toujours celui de la « tribune hiérarchique » et de la salle des adeptes. Par ordre alphabétique d’entrée en scène, on voit donc défiler un important aréopage de hautes qualités – responsables,  personnalités, experts, bardés de diplômes ou de titres :  administrateur, administratif, agent, avocat, chargé de formation, chargé de mission, chercheur patenté, conseiller gouvernemental, culturel, consultant, député, détaché, directeur (de service, ou général), dirigeant, docteur, expert (« auprès de l’Unesco, auprès des Institutions européennes »), formateur (de haut vol), hiérarque, journaliste en vue, manager, néo-mandarin, piliers (de ministère, d’académie, d’appareil, d’association), politique, président (de commissions, de fondations), professeur ( agrégé, émérite,  d’école de journalisme), responsable (éditorial ; de programmes à l’UNESCO), syndicaliste, universitaire.  Sans compter tant de « personnalités qualifiées ». Tous fins connaisseurs…

    Mise en scène « politique » certes, mais  aussi anaphore des proclamations d’intentions en lieu et place de détermination praxéologique. Dans les programmes de ces rendez-vous, je suis frappé par l’absence d’inscription dans l’historicité, de panorama critique, ou de grande synthèse sur le fond.

    Nous atteindrons sans doute prochainement des sommets du genre. Jusqu’où pourra-t-on monter plus haut : « Politiques publiques d’éducation aux médias et à l’information en Europe : enjeux de formation à l’ère du numérique » (13-14 décembre 2013)[2]. Ne pense pas la « translittératie » qui veut, et à si grands frais!

     

    La superbe

    Quelle est donc la fonction de ces opérations, fortement connotées et  ritualisées ? Mis en boucle (car on tourne en rond), ces plateaux de prestige, entre proclamation néo-managériale et retrouvailles au sommet, constituent un formidable exposé magistral collectif, supérieur et pyramidal. Tout en haut, ceux qui pensent - ils sont si loin : connivence et congratulations - et, tout en bas (dans les ateliers, ou à titre d’exemples, de TP pour le cours, et d’enfants sages) ceux qui font. Gens de peu.

     

    Dans ce contexte, l’emphase n’a rien pour rassurer : plus s’enfle le propos, plus l’art pédagogique se rétrécit ; l’écart vertigineux entre discours pieux et modestes réalités est d’autant plus cruel que nous avions cru jadis pouvoir adopter un tout autre chemin. Les pratiques convenues de cette « stratégie mondaine »,  verticale et fractale, sont peut-être à resituer dans le cadre général de la tendance au « spectacle » et à la mise en scène généralisée (les moyens dont nous disposons aujourd’hui permettent ces hyperboles  de propagande - ce qui n’était pas le cas il y a encore vingt ans, et dans les années d’effervescence antérieures. J’ai même trouvé dans ce contexte : « Mise en scène des productions numériques des élèves»). Il faut rapprocher cette configuration de la forte tendance actuelle à la dissémination : se multiplient alors tous azimuts les exemples d’activités scolaires liés aux techniques nouvelles et aux « médias », souvent de « vieilles recettes », et sous le vocable d’« innovation » un joyeux pêle-mêle, dont il faut espérer qu’il en sortira un jour quelque chose : mais aucun dispositif de réflexion ou de « refondation » ne le garantit à ce jour, et si perdure le « fétichisme numérique », il faut s’attendre à quelques désillusions.    

    En tous cas, ces méthodes de communication active ne garantissent en rien la solidité profonde et l’enracinement de ce qui devrait, depuis longtemps déjà, constituer l’essentiel d’un changement de conception éducative. Le déploiement d’un matériel de promotion conséquent, en rien la véracité de l’action et la réalité des terrains, même si on clone les exemples vertueux. Le discours propagandiste versé par le haut est au service d’une conception oligarchique[3] à l’opposé d’une parole partagée, en réseaux, en développements, en débat, etc. Est-il en arrière fond la croyance en la capacité publicitaire à entraîner les adhésions ? Ou s’agit-il d’un simple effet d’avis officiel destiné à masquer la faiblesse de l’action, et la nature des conceptions réelles qui pourraient la sous-tendre ?  

     

    La France revient d’ailleurs dans ces domaines à des pratiques institutionnelles antérieures, notamment chez les anglo-saxons, où l’ouvrage, le colloque et le rapport, de préférence dans les institutions internationales, l’emportent sur l’action de terrain, et bien entendu ne génèrent pas de « sens pédagogique », essentiellement au double bénéfice des hiérarques et du discours scolaire. Il y a là une double distorsion, temporelle, et sociale : de telles pratiques de « fuite par le haut ou en avant » au regard des problèmes sérieux qui se posent à l’école sont tout bonnement pathétiques et le grand écart entre les « postures supérieures » et l’humble quotidien pose en soi question ; et il faut se demander pourquoi ceux qui l’entretiennent dépensent autant d’énergie dans les couloirs et les antichambres de palais, plutôt que de s’employer à fonder du sens critique et pédagogique.

     

     

    Corpus public

    Conférence nationale Cultures numériques, Éducation aux médias et à l’information

     http://emiconf-2013.ens-lyon.fr/.

    Colloque "Citoyenneté et mutations médiatiques : quelle vision pour l’éducation aux médias ?"

    http://www.clemi.org/fr/les-30-ans/programme/

    « Politiques publiques d’éducation aux médias et à l’information en Europe : enjeux de formation à l’ère du numérique » (13-14 décembre 2013http://www.univ-paris3.fr/politiques-publiques-d-education-aux-medias-et-a-l-information-en-europe-244265.kjsp

    http://www.lactuwebdedith.com/2013/09/colloque-international-education-aux.html

    Colloque international Education aux médias : Nouveaux enjeux, rôles et statuts des acteurs (13-14 mars 2014, Abidjan)

     


    [1] Le Clemi, alors « Centre de liaison de l’enseignement et des moyens d’information ». Beaucoup ont considéré à l’époque de la création par Alain Savary d’un centre dédié qu’il s’agissait d’une grande avancée : l’institution scolaire reconnaissait enfin l’importance du domaine, prenait enfin en compte nos efforts, allait intégrer les données d’une pédagogie des médias portée trop longtemps par des francs tireurs et des initiatives associatives à la marge. Les journalistes précurseurs du mouvement de « la presse à l’école » se réjouissaient de voir leurs messages parvenus jusqu’au ministère de l’éducation, les pédagogues du genre d’être reconnus et espéraient-ils, désormais moins maltraités

    [2] Car : « A l’heure où de nombreux acteurs du monde politique, économique, social et associatif se posent la question de la transition numérique à l’école, les membres du projet ANR TRANSLIT (convergence entre éducation aux médias, à l’information et à l’informatique), en association avec le réseau européen COST « Transforming Audiences/Transforming Societies », organisent un  « Colloque international » sur le sujet »…

    [3] Ce qui est gênant, ce n’est pas l’organisation, la hiérarchie en soi (pourvu qu’elle sache rester respectueuse, modeste, dévouée). On peut concevoir un système de gouvernances et d’organisation apaisé, de relations saines entre niveaux d’interventions – responsables, praticiens etc. et nous avons connu quelques rares inspecteurs généraux respectueux. Mais c’est bien la surhiérarchie, c’est à dire une hiérarchie symbolique qui ne s’avoue pas comme telle et entretient la fracture. 

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  • Parmi les items de la doxa - et non de l'idéologie qui la sous-tend - figure au plus haut rang, depuis deux décennies de manière plus pressante, le terme de "citoyenneté" et l'adjectif "citoyen".

    Citoyenneté

                                                    Source : Over-blog - Citoyen du monde

    Outre que le mot recouvre une vaste surface d'ambiguïté, comme "fourre-tout", il est aussi brandi comme "slogan" généreux par telle institution, telle association, telle municipalité.

    Mais comment avions-nous pu nous en passer! Et qui pourrait sans arrogance se targuer avec orgueil de faire preuve de "qualités citoyennes", à être "un bon citoyen" ?

    Cela suggère un travail critique nécessaire qui aiderait à comprendre la montée en force - comme inexorable, avec lenteur - du terme, et les raisons de son utilisation - à tort et à travers.

    D'autant qu'il est parfois réduit au strict minimum pour faire semblant, bien loin de la participation active à la vie politique, culturelle, ou à la liberté effective de pensée. On peut s'en tenir au droit de vote, et encore, et au fait que le "citoyen" d'aujourd'hui est comme le "sujet" d'hier : le Prince qui nous régit a simplement changé d'aspect.

    V. l'article citoyenneté du TLF

     

     

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  • La question éducative de notre époque "n'a pas la philosophie qu'elle mérite", pour plagier Bachelard. Mais peut-être pas au sens où il y aurait une (ou des) "science(s) de l'éducation" en progrès, ce qui nécessiterait un accompagnement épistémologique à frais nouveaux.

    ...n'a pas la philosophie qu'elle mérite

                                                                     Gaston bachelard, Le Matérialisme rationnel, 1953

    Pour formuler autrement, nous dirions que la question éducative actuelle n'a pas la philosophie qu'elle requiert. Non pas qu'elle ne soit pas soumise çà et là aux exigences d'un examen sur le fond, mais que les caractéristiques mêmes de la culture en marque les approches.

    La question éducative est à la fois dominée par l'appartenance des "sciences de l'éducation" à une conjoncture épistémique particulière, et par l'ensemble du contexte d'intelligibilité du monde lorsque nous sommes sans doute, au-delà des frontières traditionnelles, entrés dans une sorte de "métamodernité" (mais déjà la réflexion de JD Rohart sur "l'éducation postmoderne" nous entraîne dans cette voie).

    Il s'ensuit qu'à part quelques avancées nous n'avons pas franchi la passe : une pensée de l'éducation pour aujourd'hui ne peut s'en tenir à une vision figée dans une conception héritée du "moment scientiste" et attachée à un univers simple et lisse, alors qu'il est devenu multidimensionnel.   

    A en juger par toute la littérature récente, l'heure n'est pas encore venue d'un "nouvel effort" collectif de la pensée éducationnelle. Il serait pourtant profitable à tous, pour dépasser plus d'une contradiction due à l'absence d'une autorité intellectuelle sur les dossiers en cours.

     

     

     

     

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  • Ou tout au moins, rigoureuse, sinon scientifique

    Pour une histoire du rapport éducatif aux médias

    Education, numérique et culture des médias : pour une approche scientifique

         Johu Thiam

    La question des médias est la plus sérieuse des questions, et ne peut être traitée à la légère[1] : elle est primordiale, toutes affaires cessantes. J’entends si l’on ne réduit pas le mot à un aspect particulier, ou si on ne le noie pas dans le grand tout numérique, mais si on le considère pour ce qu’il est aux termes d’une philosophie des milieux. C’est aussi « l’affaire de tous », et l’objet d’un débat éducatif général, et non la prérogative d’un pré-carré. Je n’ai pas la fibre diachronique, et ne maîtrise pas de théorie de l’histoire, même si j’essaie de me renseigner et me souvenant qu’en cela des coopérations interdisciplinaires sont souhaitables. Toutefois je suis comme d’autres friand de traçabilité, et persuadé qu’une philosophie des situations est nécessaire en action éducative : on ne peut pas construire du futur sans connaissance profonde des antécédents, sans  « savoirs de la genèse »[2]. S’intéresser aux « nouvelles donnes » nécessite un effort de situation dans une lignée. Or les documents disponibles en ligne (médiatiquement disponibles en open data) relatifs à l’histoire du rapport pédagogique aux médias en éducation scolaire sont épars, ou par trop généraux, et renseignent peu ou peu clairement ce point que l’on aurait scientifiquement jugé primordial.   

     

    L’archive

     

    Les moyens actuels permettent une mise en scène des initiatives et, on l’espèrerait en tous cas, une typologie réutilisable (et non un simple catalogue), de ce qui se fait et de ce qui est possible, suffisant pour entraîner des dynamiques. Encore faut-il - comme pour tout écrit - activer le répertoire.  Mais il est vrai que, pourvu qu’elles aient été consignées, les données récentes présentes sur la toile et accessibles par l’internet sont conservées pour un moment. Il est donc urgent d’attendre ! http://www.aléasphilosophiques.fr/

    Tout ce qui s’est passé à l’époque antérieure aux développements des deux dernières décennies n’a pas bénéficié des moyens colossaux de conservation et d’accès dont nous disposons maintenant : si bien qu’avec un peu de mémoire de ce qui se produisait dans les années 60-90, on peut sans risque affirmer que le foisonnement de l’époque n’a rien à envier à celui d’aujourd’hui, mais qu’il est moins bien conservé et répertorié. Qui plus est la pédagogie des médias a connu des enthousiasmes précurseurs, et pendant longtemps, n’est pas passée par les filtres institutionnels. Aux départs, combattue, parfois durement. Cependant, l’oubli d’un quart de siècle d’avancées explique en particulier cette tendance à « refaire le monde » qu’on observe par exemple dans des publications récentes sur la pédagogie, l’image, l’écriture notamment. 

    Nos recherches actuelles sur les « nouvelles donnes » seraient donc grandement facilitées par une histoire du rapport éducatif aux médias depuis un demi-siècle, quand l’attention fut attirée sur l’importance de l’image, et toutes les actions de classes, débats, recherches, travaux pédagogiques qui s’en suivirent. De la même façon, les documents de fond (recherche, pédagogie, méthodologie) relatifs à la période fondatrice du Clemi (1982-92) sont peu visibles, et bien peu et mal exploités. Une telle ressource - comme en toute science qui se respecte - permettrait non seulement d’éclairer l’actualité éducative mais aussi  de renoncer à cette forme de courte vue qui fait que l’on tourne en rond. Que de temps et d’énergies perdus, à la base, à l’opposé d’un développement réussi par la transmission d’un déjà riche patrimoine pédagogique et méthodologique en la matière.

    Commémorer

    L’affichage promotionnel officiel est une chose, la vérité, la qualité et la profondeur de la succession expérientielle en est une autre. Et les leçons de méthodes, ne sont pas remplaçables par la matérialité des données du moment. Elles sont réappropriables sous réserve d’un travail permanent d’actualisation qui semble poser problème (ou en tous cas paraît difficile) aux tenants contemporains de ces domaines.    

    Effet de mode aidant, tout un commentateur semble aujourd’hui appelé à disserter « du média à l’école ». Sans que par ailleurs l’institution ait clarifié – c‘est le moins qu’on puisse dire – le statut pédagogique et l’ancrage  réel de la médiaculture dans les programmes et les curricula. Cela ne s’improvise pas, et tout un chacun, même renommé pour lui-même, ne peut se propulser tout de go « pédagogue des médias », surtout sans référence à ce qui s’est fait antérieurement sur le sujet. Cela se voit pourtant. La question de l’enrichissement est donc déontologique, scientifique, pédagogique.

    Un travail rationnel ouvrant sur une typologie de cette riche histoire des pédagogies des médias - j’entends non pas des textes promotionnels, des tableaux aseptisés et des panoramas brossés à grands traits, mais, bien entendu, une histoire rigoureuse des pratiques, des méthodes, des conceptions et des contenus (selon une théorie de l’exemple)  http://www.inrp.fr/biennale/6biennale/Contrib/affich.php?&NUM=229 -  permettrait certes d’éclairer les atermoiements du jour et les approximations apparemment durables, mais serait surtout d’une grande utilité pour la formation. Je ne doute pas que les professionnels des « médias à l’école » sauront susciter de tels travaux (ou, s’ils existent, les mettre en valeur) et de proposer des synthèses fécondes.

    Il faut peut-être rerouter les tergiversations et les flous artistiques sur ce dossier vers un problème plus général : à la remémoration[3] http://www.phileduc.fr/archives/2013/04/05/26844920.html, on préfère la commémoration ; à la passation, la redite ; au progrès déterminé, la valse-hésitation.

    Les pionniers ont-ils de l’avenir ?

    Au prétexte de nouvelles donnes, et de formidables outils de mémoire, devons-nous perdre la nôtre ? Pour des raisons scientifiques, mais aussi parce que c’est une question de principe et de morale, il s’agit par exemple de rendre hommage aux pionniers (es) de la téléinformatique en milieu scolaire, des grammaires de l’image ou aux fondateurs de la pédagogie des médias. Et ceux qui sont encore en vie auraient-ils des messages pour leurs successeurs ? Ce qui est issu aujourd’hui d’une longue et riche période de tâtonnements (mais enfin, au-delà de sa communication, le dossier bégaie encore pas mal) n’est pas né de rien. Et ne représente qu’une des tendances qui ont pu se manifester tout au long de ces dernières décennies.

     

    Il y a deux sortes de présentisme : celui qui nous fait prendre la pleine mesure de notre actualité… (« présentéisme »[4]) mais aussi celui qui, trop attaché aux intérêts du moment, nous rend oublieux de notre insertion historique et de nos racines, et, tout aussi bien, nous rend peu consciencieux de notre avenir : pendant que les uns remâchent le passé, les autres ressassent l’immédiat, dominé par la pensée convenue. En temps d’anniversaires, http://www.educavox.fr/agenda/article/la-citoyennete-aux-defis-des , nous aimerions croire que ce présentisme là ne fasse pas loi : il est bon de rendre hommage à ceux qui nous ont précédés et à qui nous devons ce que nous sommes. Mais en même temps, un acte de transmission réussi ne consiste pas seulement à pieusement se souvenir d’eux (ce serait déjà moralement pas mal) mais aussi de prendre le relais de leurs travaux, et non d’en effacer la mémoire pour « passer à la suite » sans examen. Le rapport éducatif aux médias n’échappe pas à la règle : la mémoire enfouie, quelle qu’en soit les raisons, les traces effacées, quelles qu’en soient les justifications, travaillent en sous-main le texte de la transmission : de manière ruineuse.  

     

    A l’opposé, on peut espérer qu’une cérémonie célébrant l’officialisation en 1983 de la légitimité des « moyens d’information à l’école »[5] soit l’occasion de relancer l’idée de « flux de recherche » dans le domaine : les colloques auraient pour vocation de faire le point sur l’état de l’art, et de relancer la recherche et l’action. Une recherche historique est cependant exigeante : elle doit obéir à des critères de scientificité, fixer une méthodologie, poser les bonnes questions (par exemple celle du rapport entre le discours officiel et les réalités de terrain, les effets observables dans les pratiques). Mais les précédentes réunions ne vont pas dans ce sens, hormis les vœux pieux. Pourvu qu’elle n’oublie pas sa mission de mémoire pédagogique, de relais d’initiatives,  et d’encouragements, l’institution peut pourtant grandement aider. Où en sommes-nous ? Les débats actuels sur le sens de la « refondation de l’école » montrent que le système scolaire n’est pas à tout coup garante du dynamisme pédagogique. Qui sont aujourd’hui les « inventeurs » ?[6] Et peut-on redresser la barre de ce qui dans un passé encore récent a consisté à les décourager, donnant ainsi un bien mauvais signal à tous ceux qui voudraient tenter l’aventure. Il faut peut-être aussi chercher dans la limitation des champs du rapport éducatif aux médias, comme dans la perte de mémoire des fondations, la fragilité du dossier, aujourd’hui encore hésitant. A l’heure où « notre système éducatif, notre monde, et jusqu'à nos connexions cérébrales sont en pleine mutation (…) et se réorganise, à l'ère d'Internet, le développement durable[7] de la cognition humaine » (E. Erny-Newton), http://www.erny-newton.com, il faut imaginer que l’anniversaire de l’organisme qui a pour l’éducation nationale assuré depuis trois décennies l’institutionnalisation du thème soit l’occasion pour tant d’ « acteurs » actifs annoncés de « dire leur dette » pour, à frais nouveaux, partir en  re-connaissance. (L’Internaute et le Pédagogue). http://leportique.revues.org/600

     

    « En ce qui concerne l'histoire immédiatement contemporaine, la tâche du professeur est particulièrement nécessaire et difficile : les passions politiques sont trop voisines des événements, et les institutions n'ont pas encore ce recul qui permet de les bien juger. (…). Ces réserves faites, on comprendra de quelle importance est pour l'éducation civique et générale de l'instituteur la connaissance de la vie contemporaine, si féconde en mouvements et en progrès dans tous les domaines. » Dictionnaire de Pédagogie (Ferdinand Buisson), 1911

     


    [1] v. par exemple l’item [médias] dans le référentiel de compétences des enseignants au BO du 25 juillet 2013 http://www.education.gouv.fr/cid73215/le-referentiel-de-competences-des-enseignants-au-bo-du-25-juillet-2013.html

    [2] C’est un principe scientifique. Jeunes linguistes, nous ne pouvions prétendre inventorier de nouveaux territoires sans dire notre dette à nos prédécesseurs grammairiens et philologues… Et nous situer dans une école, car en sciences, il ne peut y avoir de pensée unique, comme il ne peut y avoir d’avancées sans confrontations : même la sérendipité ne tombe pas du ciel.

    [3] Voir le lexique : http://www.phileduc.eu/rememoration-a99856441

    [4] Au sens, sans doute ambigu, de Maffesoli.

    [5] A commencer par un minimum de rigueur rationnelle. On peut lire sur le site officiel : « Le Clemi est chargé de l’éducation aux médias dans l’ensemble du système éducatif français depuis 1983. » C’est évidemment faux. Du moins d’un point de vue historique et institutionnel. 

    [6] Rappel de la formule lapidaire « On demande des inventeurs » (Michel Tardy - 1966, reprise par Geneviève Jacquinot - 1981).

    [7] On peut consulter pour… mémoire actualisable le résumé du travail daté (2000) «Expérimentation et transmission : conditions méthodologiques de « développement durable »,  http://www.inrp.fr/biennale/5biennale/Contrib/6.htm

     

    Texte publié sur educavox à l'adresse :

    http://www.educavox.fr/actualite/debats/article/education-et-nouvelles-donnes-6

     

     

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